Chapitre 12

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Un gémissement étouffé remonte le long de sa gorge, à la recherche d'oxygène.

Je suis effondré au sol. Je peux sentir le liquide chaud sur mon visage ainsi que des palpitations au niveau de son poitrail. Mes yeux sont rivés sur mes mains, ensanglantées, qui étaient posées il y a encore une seconde sur le pelage de Luce.

Le sang coule abondamment.

Aucun mot ne veut sortir de ma bouche.

— Ce... Ce n'est pas de ma faute ! hurle Richard.

Même paniqué, il n'oublie pas de garder son arme rivé sur moi. Qu'il tire, je suis bien incapable de me défendre désormais. Je regarde fixement le loup gisant sur mes jambes.

Il recharge maladroitement son arme en hurlant :

— C'est elle qui s'est jetée devant ! C'est ton tour maintenant. Et cette fois, je ne te raterai pas !

C'en est trop.

Je laisse libre cours à cette rage refoulée durant sept longues années. D'un bref mouvement de la main, le vent se lève. Vif. Puissant. Brutal. Une bourrasque frappe Richard de plein fouet. Il va heurter avec violence la palissade de la bâtisse en bois. Il s'effondre au sol, étourdi.

— Luce... Luce !

J'ai beau l'appeler elle ne réagit pas. Ses gémissements de douleur et ses soubresauts ont cessé. Ce n'est plus qu'un corps inerte dont je ne suis plus capable de sentir le souffle ni même les battements de cœur.

Wolf se laisse choir, les yeux rivés sur la laisse entre ses mains. Cette laisse qui a subitement cédé. Malgré toute la tristesse qui l'envahit et comprime son cœur, il est incapable de pleurer. Sa fille... Sa fille unique avec l'amour de sa vie... Elle n'est plus et il est en grande partie responsable de sa mort. Et pourtant, les larmes refusent de couler.

J'aimerais avoir de la peine pour lui mais je ne le peux pas. Pas maintenant, en tout cas.

J'enserre le cou de l'animal de mes bras tremblants. J'enfouis mon visage dans son pelage au moment où des larmes brûlantes jaillissent pour inonder mon visage. Ce visage couvert d'éclaboussures du sang de Luce.

Si Wolf ne peut pas pleurer, eh bien je le ferai pour deux.

Je n'aime pas pleurer. C'est une sensation désagréable qui me fait me sentir sale. C'est pourquoi je n'ai jamais pleuré. Pas une seule fois, jusqu'à aujourd'hui.

— Vraiment..., murmuré-je d'une voix étranglée. J'en perds de vue qui je suis dès lors que cela te concerne.

Je cède, me laisse aller à la tristesse. Je laisse sortir ces cris de rage qui résonnent à travers la forêt. Pourquoi subir tout ça si c'est pour la perdre de cette manière ?

— Fais chier ! hurlé-je au ciel.

Ainsi, j'espère que cela atteint mon ancêtre, responsable de ce carnage.

— ...on. By...ron.

J'enfouis une fois de plus mon visage dans le pelage de l'animal. Je deviens fou. Mon désir qu'elle soit en vie est tel que j'en ai des illusions auditives. Tellement réelles que j'aurais pu y croire, si seulement son corps n'était pas dans mes bras.

— Byron ! me hèle Wolf d'une voix enraillée.

Je redresse la tête et essuie mon visage du revers de la manche afin d'endiguer le flot de larmes qui brouillent ma vue. Lorsque je repose les yeux sur le loup, le corps de l'animal se contorsionne et convulse brutalement.

À l'image d'une peau de sable soufflée par le vent, le pelage se met à briller avant d'être emporté par une douce brise. Cela a commencé par le bout des pattes avant pour terminer par la queue.

Le corps canin cède peu à peu la place à celui d'une jeune fille aux vêtements déchirés et poussiéreux.

Je ne peux que la dévisager tandis qu'elle essaye de se redresser. Elle est soudainement devenue très maladroite dans ce corps d'humaine. Elle finit par abandonner et se laisse retomber sur mes jambes.

Sans mot dire, je l'aide à s'asseoir avant de planter mon regard dans le sien. Je n'arrive tout simplement pas à y croire. Elle laisse retomber sa tête contre mon épaule.

— C'est bien moi, susurre-t-elle au creux de mon épaule.

Fondant en larmes pour la seconde fois, je l'attrape par le menton et plaque avidement mes lèvres contre les siennes. Des lèvres que j'ai toujours désirées. Ma langue se fraye un chemin entre les lèvres de Luce qui n'oppose pas la moindre résistance.

Elle gémit silencieusement. Cela me donne encore plus envie de prolonger notre baiser. Je peux sentir nos bouches devenir un peu plus brûlantes à chaque seconde.

Elle halète. L'air lui manque.

— Respire par le nez, lui conseillé-je d'une voix presque inaudible.

Je recommence à l'embrasser avec plus d'ardeur encore, après un bref regard pour Wolf qui s'est détourné.

Même lui peut comprendre. Pour cette fois, du moins.

Notre baiser est si passionné que tous se met à tourner. J'essaye de me décoller mais elle me retient. Elle ne veut pas que cela s'arrête. Pas maintenant. Elle a la désagréable impression qu'une fois nos lèvres séparées, je luis glisserai une nouvelle fois entre les doigts.

Je mets tout de même un terme à notre baiser. Ses yeux sont suppliants. J'entoure l'ovale de son visage de mes larges mains et plante mon regard dans le sien.

Je t'aime. Je t'aime tellement, ne cessé-je de lui répéter aussi fort que cela puisse être possible sans prononcer le moindre mot.

Elle m'offre alors son plus beau sourire, les larmes aux bords des yeux.

— Moi aussi, répond-t-elle à voix haute avant de m'embrasser à nouveau.

Je passe les bras dans son dos et l'entraîne contre moi. C'est un véritable poids plume, ma parole. Je la serre fort, telle une dernière preuve de sa présence physique.

Elle pousse soudain un hurlement strident. Je la relâche aussitôt.

— Luce ! Luce, qu'est-ce qu'il t'arrive ?!

Je la secoue faiblement par les épaules mais elle ne réagit pas, similaire à une poupée inanimée. Seul son souffle saccadé m'assure qu'elle ne m'a pas encore totalement quitté. Mes yeux se portent vers sa poitrine. Une tâche de sang imbibe le tissu. Elle se répand rapidement.

— Wolf ! Appelez une ambulance ! Vite !


Lullaby - Une histoire du Petit Chaperon rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant