Chapitre 4

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Comme le lui a ordonné son patron, Byron ne me quitte jamais – ou alors, pas bien longtemps. Il est allé jusqu'à demander un transfert de section afin de se retrouver dans la même classe que moi.

À l'origine en filière scientifique, il est également à l'aise dans les matières littéraires. Cela n'aurait donc pas été un très gros handicap pour lui. L'inverse aurait été bien plus compliqué quand on sait à quel point les sciences et moi nous aimons. Le genre d'amour où, plus on s'aime, plus on se fait des vacheries.

Seulement, l'établissement a refusé sa demande. Peut-être parce qu'il est en classe supérieure. Ou alors parce que nous sommes au milieu de l'année scolaire, je ne sais pas. Heureusement, mon père n'est pas allé jusqu'à soudoyer la direction comme je l'ai craint un moment. Il m'a vaguement expliqué que l'initiative de Byron lui suffisait comme preuve de bonne volonté.

Les pauses, on les passe assis dans le couloir et on mange ensemble dans les escaliers, devant l'entrée du lycée. On évite autant que possible la cafétéria après le déluge de questions que notre soudaine proximité a provoqué. Normal, personne n'est au courant que Byron travaille pour ma famille. Aux yeux de tous, cela doit faire bizarre.

On rentre également ensemble à pieds. J'ai réussi à nous éviter la corvée du chauffeur aux grilles du lycée. Cela aurait été trop la honte.

Ce qui devait arriver tôt ou tard est arrivé plus vite que je ne l'aurais cru. La rumeur au sujet de notre relation a commencé à circuler. Elle a été cependant rapidement écartée par une autre rumeur – véridique celle-ci – révélant la qualité de domestique de Byron. Je déteste que les autres le voient de cette manière. Mais ce n'est pas son attitude que va les faire changer d'avis.

Son visage n'a jamais été aussi fermé. Et depuis le début de ce cirque, il y a maintenant deux semaines, il ne m'a pratiquement plus adressé la parole. Les rares fois où il l'a fait, c'était toujours dans un langage formel et détaché.

Plus énervant, tu meurs.

Cette situation me gêne plus qu'autre chose et la joie de pouvoir le monopoliser a été de bien courte durée.

Je peux comprendre. Il est irrité et il y a de quoi. À cause de cet ordre stupide – bien que je ne sois pas celle qui l'a formulé – je le prive de ses amis. Ils doivent certainement lui manquer. Si on venait à me retirer mes amies en m'enchaînant à quelqu'un que je n'apprécie pas, je réagirais de la même façon.

Non, en réalité, je casserais certainement tout sur mon passage, histoire de voir si cela les ferait changer d'avis. Mais lui reste passif. J'aimerais qu'il fasse un petit effort, pour moi, pour notre ancienne amitié qui m'apparaît de plus en plus comme une chimère.

Peut-être cette irritante passivité est-elle son effort à lui. Je ne sais pas. Je n'arrive plus à le comprendre, à cerner sa manière de penser. Au fond, peut-être est-ce mieux ainsi.

— Arrête de rêvasser ou tu vas finir par avoir un autre accident.

Sa voix me fait le même effet qu'une décharge électrique. Elle qui est devenue si rare, j'en viens à la guetter avec une avidité telle que cela m'effraie. Comme un loup qui baverait, tapi dans l'ombre, observant l'innocent agneau en s'imaginant à quelle sauce il va bien pouvoir le manger.

Je m'accroche à ses mots comme à une bouée de sauvetage tout en sachant que c'est cette même bouée qui finira par causer ma perte.

— Advienne que pourra. Si jamais une voiture venait à me foncer dessus, je n'aurais qu'à la défoncer, répliqué-je avec sérieux.

Par le passé, Byron m'a qualifiée de sanglier. Si cela m'a offensée sur le coup, un sanglier n'ayant rien de mignon, je réalise à présent que cela n'est pas loin de la vérité.

Lullaby - Une histoire du Petit Chaperon rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant