Le marché aux esclaves

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Esclave.

Je sentis une goutte de sueur froide roulée dans son dos, le long de son échine. La peur, qui faisait partie intégrante de mon existence était encore plus présente en ce moment que d'habitude. Cette amie inopportune me collait à la peau aussi bien qu'une sangsue.

Je me trouvais sur une vaste place, remplie de gens qui criaient, qui se hélaient les uns et les autres. Le bruit était assourdissant. Mes lèvres étaient craquelées, asséchées. Je n'avais pas pu boire une goutte d'eau depuis des heures. Mes cheveux retombaient tristement autour de mes épaules, totalement emmêlés et on peinait à en deviner la couleur sous la couche de boue qui les recouvraient. Mes vêtements n'étaient plus que de misérables loques, et cachaient à peine les nombreuses blessures qui parsemaient mon corps.

J'étais entourée de certains de mes amis, et de parfaits inconnus, auxquels j'étais rattachée par une lourde chaîne de fer, qui entravaient tous nos mouvements et qui serrait atrocement nos chevilles. Nous étions sur un marché illégal d'esclave, de vente d'humain. Depuis que les sangsues étaient arrivées sur Terre dans le but de la « sauver », ils s'étaient découvert une addiction à notre sang. Après les premières hécatombes lors de leurs arrivées sur notre planète, leur gouvernement avait instauré un décret comme quoi notre chasse était devenue illégale mais il fermait les yeux sur tous les marchés illégaux, du moment que ceux-ci restaient discrets. Après tout, nous ne valions pas mieux à leurs yeux que la vache Marguerite en train de brouter de l'herbe ou que l'ours grognon en train d'hiberner. Ils étaient arrivés il y a une cinquantaine d'années selon nos anciens avec une technologie bien plus avancée que la nôtre, prenant le contrôle sans réel effort. Certains les avaient assimilés à des vampires à cause de leurs addictions à notre sang, mais si leurs corps ressemblaient aux nôtres, ils n'avaient rien en commun avec quoi que ce soit de connus sur Terre.

J'entrouvris douloureusement les yeux. La fumée, qui provenait de notre village qui avait été réduit en cendre m'avait brûlé les paupières et ma vue se brouillait. A côté de moi, un bébé se mis à pleurer, sa mère tentant désespérément de le calmer. Une de ces créatures darda ses étranges yeux dorés sur elle et lui fit signe de le faire taire sans attendre. La pauvre le cala contre elle en le berçant et en chantant une chanson. Je regardais autour de moi et reconnu plus loin la vieille Martha, étendue sur le sol, elle paraissait à peine capable de se lever après les trois jours de marches éreintantes que nous venions de subir. En tournant encore la tête, j'aperçus Matthias qui se situait à trois ou quatre personnes de moi. Il semblait à peu près vivant, si on pouvait appeler nos vies vivre et me rendit mon regard.

Je pouvais sentir la poussière, la sueur, la peur et la fumée qui nous collait à la peau à tous. La vie dans les bois ne permettait pas un lavage régulier, j'étais habituée aux odeurs corporelles, mais celles-ci étaient bien plus intenses que celles que je connaissais. Je ne savais pas si c'était le fait que nous étions tous serrés, ou l'approche d'une mort certaine qui rendait leurs odeurs particulièrement fortes. Que ce soit l'un ou l'autre, l'odeur était presque accablante. J'en avais des haut-le-cœur.

Je tournais à nouveau la tête vers Matthias. Je le connaissais depuis que j'étais toute gamine et nous étions souvent resté ensemble le long de ces longues nuits où nous attendions, cloîtrés dans des abris de fortune, guettant l'arrivée d'un éventuel chasseur. Nous avions appris ensemble à jouer en silence, à n'être plus que des fantômes, nous faisant le plus discret possible, notre liberté ne se retrouvant que lorsque nous pénétrions dans la forêt sombre et obscure, notre domaine dont aucune de ces créatures n'osaient franchir le seuil. S'y repérer était impossible si vous n'y étiez pas né. Je repensais nostalgiquement à notre ancien bonheur. Je ne reverrais sûrement plus ma magnifique forêt.

Un mouvement dans la foule me fis sortir de mes pensées. Les « vampires » s'étaient regroupés près de l'estrade, attendant visiblement de début des ventes. Leurs vêtement, riches et colorés contrastaient dans ce paysage délabré. Les gardes nous firent avancer, nous triant : ceux qui étaient encore assez en forme pour être vendus et les autres qui allaient être saignés à blanc directement.

Sous les coups de fouets et de bâtons, sous les cris et les pleures des prisonniers, la colonne s'ébranla. A chaque fois que la personne qui était étudiée était estimée trop faible, on entendant des plaintes des autres dans la foule, des personne qui les connaissaient.

Je ne savais pas quelle option était la meilleure, mourir tout de suite ou vivre mais souffrir ? Le besoin de rester en vie était -il un supérieur à notre envie de liberté et de rester en vie ?

Sur scène, les premiers humains s'avançaient. Une jeune femme monta sur scène. Elle ne devait pas avoir plus de 25 ans. La foule de vampire réunit la regardait la scène avidement. Tels des corbeaux, ils tournoyaient autour de ce malheur humain, de ce peuple réduit au rang de bovin. J'observai la femme qui était emmenée sur le côté. Elle baissa la tête, la force des larmes qui ruisselaient le long de son visage faisait trembler ses épaules alors qu'on la guidait en haut de l'estrade. Ses pleurs étaient déchirants. Une complainte lente, terriblement foudroyante. Les vêtements de la femme étaient à peine plus que des guenilles, sa peau était couverte de crasse et de plaies, elle tituba. Ses pieds, encerclés par des anneaux de fer, étaient nus, un de ses orteils était dans un angle improbable. Cette femme vivait l'horreur, était l'horreur même de notre condition, le reflet de la douleur d'un peuple, brisée. Elle fut vite achetée puis remplacée par d'autres.

Martha monta alors sur scène. La vieille femme l'avait élevée et s'était occupée d'elle et de Matthias alors que nous ne faisions partis que des dizaines d'orphelins qui couraient les rues. Je retiens un sanglot. Elle se tenait fièrement debout, ses épaules en arrière, son menton relevé alors qu'elle regardait sans ciller à travers la marée de têtes devant elle. Si les larmes n'étaient pas en train de silencieusement couler le long de ses joues souillées par la terre et la suie, je l'aurais crue intrépide. Même avec ces larmes, elle avait l'air fière, défiante, inébranlable. Elle semblait invincible alors même que ses forces vacillantes allaient la faire s'écrouler. Les monstres ne lui accordèrent qu'un coup d'œil rapide avant de décréter sa mise à mort.

Une de ces créatures, à la peau blanche, translucide, synonyme qu'il était devenu accro à notre sang s'avança et se jeta sur elle. La lueur de souffrance qui apparue dans son regard était insoutenable mais elle ne prononça pas un mot. Ses lèvres restèrent définitivement closes alors que ce monstre s'abreuvait à son cou, comme s'il n'avait pas bu depuis deux mois. Je détournais le regard, incapable de regarder plus longtemps celle qui m'avait sauvée mourir.

J'étais traînée à travers la foule et brusquement poussée sur l'estrade. J'étais montrée devant la horde rassemblée sur l'estrade, avant de passer devant les vampires grouillant dans les rues. Je fus à nouveau traînée devant les personnes sur l'estrade et bousculée dans tous les sens, mais personne ne me réclama. Je ne me sentais pas aussi soulagée que j'avais pensé l'être. La peur de la mort et l'espoir, ce poison, maintenait en moi l'envie de vivre.

Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine, je pouvais à peine voir ce qu'il se passait dû aux vagues d'adrénaline et de terreur qui me traversaient. Soudain la place sembla se vider, les créatures s'éloignaient précipitamment. Je regardais dans le vide vers la rue, remarquant à peine l'homme qui s'était avancé. Mes yeux rencontrèrent alors deux pupilles totalement noires. Une étrange couleur pour une de ces créatures. Tout le monde murmurait, et soudain je compris. C'était le chef des services secrets, celui-dont tout le monde murmurait le nom en cachette.

Il se tenait nonchalamment là, ses larges épaules en arrière et une expression impassible sur son visage. Ses cheveux noirs ébouriffés retombaient en vagues sur son dur visage, soulignant sa dangereuse beauté. Une beauté que je m'efforçais de ne pas admirer, mais je me surpris à le dévorer des yeux. Ses yeux noirs brillaient d'une lueur indéfinissable, sauvage. La chemise bleu nuit qu'il portait enlaçait le haut de son corps, laissant deviner la sculpture des muscles qui dessinaient son ventre, son torse, et ses bras. Tout en lui respirait l'autorité et le danger. Personne ne se serait risqué à le contredire sciemment. Les bras croisés sur la poitrine, il m'observait.

Lien de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant