Le sage et le lâche ont en commun l'art de la fuite

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Mes yeux clignèrent un instant, tandis que je reprenais mes esprits. Je repris le contrôle de mon corps. J'avais oublié à quel point il était différent de nous et à quel point leurs capacités étaient supérieures aux nôtres. Et je détestais par-dessus tout, la capacité qu'ils avaient de nous manipuler comme des pantins, nous privant de notre libre-arbitre. Ses yeux ne me quittaient pas et une interrogation sourde semblait provenir d'eux. Il semblait avoir du mal à comprendre quelque chose. Puis son interlocuteur éleva la voix et il se détourna de moi.

En jetant un coup d'œil dans sa direction, au bout d'une dizaine de minutes, je vis qu'il semblait très absorbé par son étrange appareil. Il parlait vite, trop vite pour que je puisse saisir sa discussion. J'avais beau essayer, je ne parvenais qu'à comprendre quelques mots ici et là. Pas assez pour pouvoir reconstituer un sens à ces paroles. Je soupirais et me détournais de lui. La voiture dans laquelle je me trouvais ralentit, arrivant à un barrage. Ceux-ci étaient répartis sur l'ensemble du territoire, visant à contrôler le flux d'humain qui circulait sur le continent.

Tandis que les gardes contrôlaient la voiture, je regardais l'environnement autour de mois, espérant percevoir un signe, un indice, qui m'indiquerais dans quelle direction nous nous dirigions. Soudain je sursautais. Le décor qui se profilait derrière la fenêtre ne m'était pas inconnu. Je pouvais apercevoir de grands arbres se balancer au gré du vent. Mais pas n'importe quels arbres, des ormes. La route sur laquelle nous nous trouvions traversait une grande forêt très semblable aux nombreuses autres qui étaient présentes dans la région. Une simple forêt pour quiconque passerait par là sans s'attarder. Mais pour quelqu'un qui y avait passé son enfance, elle était reconnaissable entre mille.

En effet, nous nous trouvions près des grottes où j'avais passé une très grande partie de mon enfance. L'entraînement quasiment militaire que nous suivions ne devait pas être connus des créatures, aussi la prudence était de mise et la profondeur des bois nous offrait un abri plutôt sûr jusqu'à ce jour funeste. L'instinct de survie qui se cachait en moi prit le contrôle. Durant des années, j'avais été entraînée par ma mère adoptive et par des membres du village avec d'autres jeunes dans un espoir vain de combattre ces créatures. Mes réflexes, durement entraînés reprirent le dessus. Mon souffle se calma, devenant inaudible pour un être humain. Je contrôlai chacun de mes gestes. J'observai les environs avec un intérêt dissimulé et évaluai mes chances de m'en sortir. Il fallait que j'ouvre la portière et qu'en cinq secondes je me sois éloignée de la voiture avec l'effet de surprise jouant pour moi, j'aurais environ 30 % de chance de m'en sortir. C'était peu, mais assez pour tenter le coup. Je n'avais aucune envie de m'éterniser dans une maison remplie de sangsue ne pensant qu'à goûter à mon sang. Après tout, un accident est si vite arrivé. Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait là-bas, mais la seule chose que je savais était qu'on ne pouvait faire confiance à ces créatures.

Alors que la voiture s'arrêtait au barrage, j'ouvris la portière, sautai sur la route et me mis à courir. Derrière moi, j'entendis un rugissement, puis un bruit de course. Le « vampire » me poursuivait. Avec ses forces surnaturelles, il ne tarderait pas à me rejoindre, malgré l'avance que j'avais prise grâce à l'effet de surprise. J'avais sous-estimé sa vitesse par rapport à la mienne. Aussi fus-je étonnée lorsque je le sentis s'arrêter. Malgré l'urgence de la situation, je me retournai.

Le vampire s'était arrêté, l'air pensif et regardait son appareil d'un air étrange. Celui-ci se remit à sonner. Il me considéra un instant puis un sourire narquois sur les lèvres. Il articula lentement :

- Cours, la chasse est toujours plus intéressante quand la proie à un peu de résistance.

Comprenant qu'il comptait me donner la chasse plus tard, une bouffée de peur monta en moi. Une perle de sueur froide coula dans mon dos. Je me retournai et détalai comme un lapin, courant le plus vite possible pour atteindre l'orée de la forêt et le couvert des arbres. Je suivis ensuite le ruisseau qui redescendait au village quand je m'arrêtais essoufflée. Un fait me revient en tête, insupportable. Le village n'était plus. Il avait été réduit en cendre lors de la dernière attaque et une partie de ces habitants étaient morts. Je repensais à la vieille Martha et me sentis soudain très seule. Comme s'ils n'avaient attendu que cet instant mes canaux lacrymaux s'ouvrirent et des torrents de armes inondèrent mes joues. Je vacillais et tombais à genou. Combien, Combien de morts leur faudrait-il encore avant de nous laisser enfin tranquille ? Combien ?

-

L'homme jeta un coup d'œil à la fille qui s'échappait. Un grondement de dépit sortit de sa gorge. La fille devrait attendre. Le coup de fil qu'il avait reçu l'avait ennuyé, son roi requérait sa présence et la présence de la fille attirerait plus d'ennui qu'autre chose. Il eut un soupir las. Pourquoi les membres de sa race étaient-ils parfois aussi stupides que de simples êtres humains ? Les problèmes qu'engendraient certains étaient déprimant. Aussi, laissa-t-il l'humaine partir, pour le moment. Il sourit en pensant à la délicieuse chasse qu'il entreprendrait lorsqu'il aurait fini ce qu'il avait à faire. Ils avaient de toute façon besoin d'une interprète et d'une ambassadrice. Bien sûr, il aurait pu choisir quelqu'un d'autre mais l'humaine l'intriguait. Oui cette petite humaine était fascinante et avait du cran. Il allait s'amuser. Cela ne lui était pas arrivé depuis des lustres.

Lien de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant