CHAPITRE 1 : Il s'appelait... le détective inconnu

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Des bruits de pas pressés martelaient le trottoir. Venant du début de la rue, ils résonnaient sur toutes les façades sinistres de ce bout de quartier londonien. L'ombre semblait fuir d'autres silhouettes effrayantes. On pouvait entendre son souffle douloureux d'une trop longue course, ses gestes étaient précis mais ils exaltaient la détresse qui s'emparait de cet individu au trench bleu nuit. Des hurlements lointains s'égosillaient déjà des coups qui seraient infligés au fuyard quand ce dernier sera attrapé.

À cette heure-là, aucune enseigne n'était ouverte. La brasserie française avait déjà rangé toutes ses chaises en terrasse et le patron avait verrouillé la porte avant de monter dans son appartement, au premier. Une petite lueur persistait pourtant à travers l'une des vitrines de la sombre ruelle. Par-delà la vitre, un petit bureau ancien en bois sur lequel était posé un livre ouvert s'offrait la chance d'être le seul à avoir de la lumière dans toute cette obscurité. C'était une occasion qu'était prêt à saisir notre ami au long manteau qui tentait encore d'échapper à ses ravisseurs. Une suite logique l'avait conduit à ouvrir la porte de l'échoppe, qui n'était pas verrouillée -par un heureux hasard-, et de se précipiter d'éteindre la lanterne sur ce petit bureau pour ne pas attirer l'attention de ses admirateurs quand ceux-ci passeront par là. En entendant leurs pas s'approcher, il s'arrêta net de respirer. Retenant entre ses lèvres fines, la moindre particule de vie qui les mettrait sur la voie.

Entre les cris et les bruits de corps qui se poussaient, l'homme au long manteau s'était soigneusement caché dans la noirceur de la boutique. Une fois en sécurité, il put de nouveau respirer calmement. Une grande inspiration lui donna une franche impression de soulagement. Il se laissa esquisser un sourire. Puis, plus par curiosité qu'autre chose, il posa son regard sur les différentes parties de l'endroit qui lui avait permis de survivre. C'était excessivement étroit, quelque peu poussiéreux mais étrangement chaleureux. Ses épaules se détendirent et il s'amusa à errer dans les allées de livres qui jonchaient les étagères suédoises fraîchement montées. L'inconnu se mit alors à réfléchir. Sous ses boucles brunes, il se demandait pourquoi est-ce que le gérant de cette boutique avait laissé la lumière du chevet allumée. Il s'avança vers le livre ouvert sur cette petite table et il le retourna pour en lire quelques lignes. C'était un livre peu joyeux sur la Première Guerre mondiale et sur un soldat « inconnu » qui essayait tant bien que mal d'échapper aux horreurs de la guerre dans les tranchées. Drôle de lecture. Il remit le livre exactement à sa place. Un craquement sourd lui fit relever la tête et son regard, d'un bleu glacial, se posa vivement dans celui de la jeune femme qui se tenait, silencieuse et effrayée, dans l'obscurité. L'inconnu ne fit plus aucun geste, dehors les pas des hommes à sa recherche se faisaient encore entendre, ils revenaient. La demoiselle posa un doigt sur sa bouche et elle fit comprendre à l'homme au trench de la suivre dans l'arrière-boutique. Il y serait sûrement plus en sûreté, surtout si l'un de ses ennemis venait à éclairer la vitrine de cette boutique en particulier.

Il n'aurait jamais cru qu'il tomberait sur quelqu'un à cette heure et sûrement pas sur une jeune femme. Elle n'avait pas allumé de lumière, mais ses enjambées guidaient ceux de son ami fortuit à travers l'appartement caché à l'arrière du magasin. La pièce la plus éloignée de la vitrine était la chambre de la propriétaire des lieux. Elle s'arrêta net quand elle sut que tout danger était écarté, mais le plus grand risque pour elle c'était cet inconnu qui s'était précipité dans sa boutique pour on-ne-sait quelle raison. Le grand brun observa le pouls de la demoiselle à travers l'artère de sa gorge, il était déraisonnablement élevé. Il la détailla alors plus largement. C'était une personne de sexe féminin, aux alentours de la trentaine. Elle arborait une longue chevelure blonde qu'elle écarte de son visage par un bandeau en tissu autour de sa tête. Son visage formait un ovale parfait et ses yeux, en constant mouvement de panique, étaient d'un vert pâle agrémenté de quelques tâches marron. Des yeux dragons. C'était si rare d'en observer dans une rencontre due au hasard. Il reprit ses investigations et il en conclut que la charmante personne devant lui était vide d'intérêt certes mais surtout totalement inoffensive. C'était en omettant le côté revêche de sa sauveuse. Elle lui décolla un coup, dans les côtes, qui le fit chavirer sur le lit pour encaisser la douleur.

-Mais pourquoi vous me frappez ?! Demanda l'homme à bout de souffle.

-Je... je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous faites chez moi !

-Ne soyez pas plus stupide que vous ne l'êtes, vous m'avez vu courir, j'essayais ... !

Mais il ne put finir sa phrase. Devant l'énervement qui semblait s'emparer de lui, la jeune femme lui asséna un coup sur la tête, d'un objet qu'elle avait trouvé par hasard dans sa chambre. L'inconnu était totalement inconscient sur son lit. Elle l'observait à son tour avec une peur au ventre qu'il ouvre les yeux et qu'il l'attrape pour la tuer.

-Qui peut-il bien être ? Se demanda-t-elle pour elle-même.

Derrière son trench, l'homme était vêtu d'une chemise aubergine et d'un costard noir. Il n'avait pas l'air d'un quelconque délinquant du quartier. Il semblait assez sain d'esprit. Elle releva doucement une de ses boucles pour apercevoir quelques contusions sur ses joues déjà assez creuses. La couleur de sa peau était si livide qu'on aurait cru qu'elle venait de le tuer. Cette pâleur faisait encore plus ressortir le rouge, le bleu et le violet de ses blessures. Tendrement, elle reposa cette belle boucle et elle saisit ses épaules pour l'allonger correctement sur son lit. Elle se redressa et elle lâcha un long soupir semblant vouloir dire « Qu'est-ce que je vais faire de lui ?». La jeune femme reposa de nouveau son regard sur cet homme sans nom et quand il émit un gémissement, elle sursauta. Il ne fallait pas avoir peur, il allait sûrement dormir plusieurs heures. Mais ce gémissement l'inquiéta. D'une main un peu tremblante, elle se mit à défaire les boutons de la chemise du jeune homme. Jamais, au grand jamais dans sa vie elle ne pensait faire cela un jour, ses joues se teintèrent d'un rouge aussi vif que celui de la pomme empoisonnée dans le conte de sa princesse préférée. Sa gorge se crispa et elle humidifia légèrement ses lèvres, pour mieux se concentrer sur sa tâche. À son grand désarroi, elle avait eu raison de penser que les égratignures sur le visage du bel inconnu n'étaient que la partie visible de l'iceberg. Sous sa chemise, elle savait que certaines de ses côtes étaient cassées et qu'il avait une profonde entaille dans son flanc droit. Toute personne, humainement normale, aurait pris la décision d'appeler au plus vite une ambulance, mais quand elle voulut prendre son téléphone pour composer le numéro des urgences, l'homme inconscient lui agrippa le bas de sa robe. Elle avait hurlé de peur, mais après s'être ressaisie elle le regarda.

-P... pas l'hôpital... je vous en prie, avait murmuré si faiblement l'inconnu.

Pas l'hôpital, c'était simple pour lui de dire ça. Elle n'avait aucune connaissances en médecine ou même en soins de premiers secours. Un éclair de génie lui vint alors à l'esprit. Ses livres lui seraient d'un grand secours. Revenant dans sa boutique, elle rechercha vivement des ouvrages sur les premiers soins à donner à un blessé. Feuilletant sans relâche, elle relevait les idées les plus promptes à la situation. Et heureusement que le service d'hygiène et sécurité des petites entreprises était passé récemment. Elle s'était vue offrir une trousse de soin toute neuve. Elle remercia le seigneur et elle s'empressa de retourner au chevet de son non invité.

-Monsieur, je vais vous soigner...comme je peux. D'accord ? Demanda-t-elle en sachant pertinemment qu'elle n'aura plus de réponses.

La jeune femme passa la nuit entière à s'occuper de cet homme au regard froid comme l'hiver. Elle ne voulait ni appeler la police, ni même quelqu'un pour l'aider. De toute façon, elle ne connaissait personne à Londres. Et sur un dernier pansement qu'elle colla sur le corps du brun ténébreux, elle s'assoupit, assise par terre, la tête contre son lit.

THE SECRET OF BOOKSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant