Chapitre 2

58 6 7
                                    

Épuisée. J'étais épuisée.
Je crois qu'hier, il était plus de minuit quand je suis allée me coucher. Je ne sais pas vraiment, je ne regarde plus vraiment l'heure.
Mais, ce matin, je n'avais plus rien à faire, plus rien à penser. J'étais libre... Du moins, j'en étais persuadée. C'est donc le cœur léger que j'allais attendre mon bus à l'arrêt, après avoir avalé un verre de jus de pomme - je n'aime pas le jus d'orange - et un modeste paquet de petits beurres. Je n'ai pas particulièrement faim le matin, et il faut dire que c'est un fait qui m'arrange beaucoup.
Je me suis assise sur le muret d'une maison, juste à côté de l'arrêt ou je ne vais jamais. C'est stupide? Oui, sans doute.
J'ai dégainé mon portable pour regarder l'heure. J'avais cinq minutes d'avance - mais les SMS de Ella pour me tenir compagnie.

De : Ella ♡
A : 6h58
Purée tu verrai le monde dans le bus c'est un truc de malade! 

De : Moi
A : 6h59
Comme tous les mercredis :-P Joffrey est là?

De : Ella ♡
A : 6h59
Nan tkt

Je soupirai de soulagement. Joffrey, c'était le garçon qui me draguait depuis la troisième. Pas qu'il soit méchant ou quoi que ce soit, il était juste très collant, et moi pas amoureuse de lui.
En fait, notre situation est assez paradoxale. J'adore discuter avec lui, il me fait rire et c'est vraiment quelqu'un de bien. Seulement une fois qu'il est parti on ne l'arrête plus et, même rentrée chez moi, il continue de m'envoyer des messages. Au début, ça ne me dérangeait pas tant que ça, j'appréciais même cette amitié sans failles qu'il avait su battir sur les fondations de son amour pour moi. Mais, tandis que le temps déroulait son fil, dialoguer avec lui est devenu une routine qui me faisait perdre un temps fou et qui, par conséquent, m'étais désagréable.
Alors oui, j'adorais Joffrey. Mais, autant que ce premier fait, je le haïssais.
Le bus tourna en un crissement de pneu pour venir s'arrêter devant l'unique arrêt de mon village. Et, comme d'habitude, je perdais mon petit pari contre le destin, et le véhicule ne s'immobilisa qu'une fois qu'il m'eut dépassé.
Un jour, il s'arrêtera avec la porte exactement en face de moi. Un jour.
Je suis montée et me suis assise à côté d'Ella avec un petit sourire en guise de bonjour.
  -Tu as l'air fatiguée, constatais-je.
  -Comme d'hab! J'ai révisé jusqu'à je sais pas quelle heure je suis crevée...
Je souris intérieurement. Et moi donc... J'avais la chance - si on peut appeler ça une chance - que mon visage ne marque pas la fatigue. Mes amies ne remarquaient donc que peu souvent que ma forme n'avoisinait presque jamais son taux optimal.
Je continuais de discuter avec Ella, abordant nombre de sujets sans importance - son repas d'hier soir, la dernière bêtise de son chat - mais savourant cette conversation délicieuse. Délicieuse, car nous parlions sans contraintes et étions heureuse de la tenir, quand bien même elle n'ai aucune utilité. Enfin si, elle en avait une : tous ces détails sans importance nous rapprochaient un peu plus. Ella était vraiment une fille pleine de surprises.
Le bus finit bien évidemment par nous déposer à destination, devant l'hôpital de la ville. Durant les cinq minutes de marche qui nous séparaient encore du lycée, nos sujets devinrent plus pratiques - le DS d'aujourd'hui, surtout. Je connaissais le sujet sur le bout des doigts et j'étais ravie d'aider mon amie à en faire de même.
  -Méli-chou, Ella-la-la! Comment ça va?
Bien évidemment, dès que nous fûmes en vue des grilles noires du lycée, Sybille fondit sur nous avec sa délicatesse habituelle... Ses longs cheveux me glissèrent sur l'épaule quand elle se pencha pour me faire une bise appuyée. Ils étaient si beaux, si doux, si brillants, des cheveux de princesse. Je l'enviais.
  -Romane n'est pas encore arrivée? s'enquit Ella.
Sybille eut un geste négligeant de la main.
  -Oh, non, elle est en train de dire bonjour au gang des starlettes, là.
Le gang des starlettes, c'était un groupe de filles qui n'avaient pas à se plaindre niveau finances. Parents banquiers, médecins... Je ne pensais pas que les clichés sur les lycées privés étaient vrais. Pourtant, celui-là, si. Oh, elles n'étaient pas méchantes, justes un peu superficielles pour certaines et pour la plupart plutôt populaires. Mais, au delà de ça, ce sont de vraies profiteuses qui savent parfaitement comment subtiliser des réponses aux autres.
  -Parlons de plus intéressant, le DS! Méli-chou, tu as révisé? Tu peux m'expliquer vite fait la mitose, j'ai pas trop compris.
Je souris.
  -Oui bien sûr.
Pour elles, Sybille, Ella et Romane, donner des réponses ne me dérangeait absolument pas. Ironie? Sûrement.
C'est vrai quand on y pense, leur donner la réponse à elles ou au gang des starlettes, c'était exactement la même chose. Dans les deux cas, j'offrai les quelques heures de travail que j'avais prises pour réviser à des personnes qui ne l'avaient pas fait.
En fait, ma vie était remplie de ces non-sens comme autant de poussières sur mon esprit. Je n'en avais pas encore conscience.
Seulement, on fini par étouffer sous la poussière.

Out [En pause] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant