Partie 24

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Mai 2008 - Ondine

Un mois déjà que je vis chez la mamie de Lucas. Un mois qu'elle s'occupe de nous. D'Eliott et moi. Même si je pleure souvent la nuit, j'essaye de faire bonne figure la journée, devant elle. Mais elle n'est pas dupe. Elle sait que je ne vais pas bien. Que trop de choses se bousculent dans ma petite tête et que mes épaules supportent bien plus qu'elles ne le devraient.

Lucas me manque chaque jour qui passe. Et Eliott lui ressemble tellement. J'ai fait un choix difficile pour nous, pour lui mais je veux qu'il réalise son rêve. Je ne veux pas être celle qui l'empêchera de le vivre. Je ne veux pas être celle qui lui gâchera son avenir.

Les graviers qui crissent sous les pneus d'une voiture m'interpellent. Une visite inattendue? Le facteur? La mamie Montclair pose ses lunettes sur la table, se lève et va ouvrir la porte pour voir qui arrive. Je m'approche d'Eliott qui dort dans son transat, près du canapé, ramasse son hochet et retourne dans la cuisine le passer sous l'eau. La porte s'ouvre à nouveau, la mamie Montclair entre, suivie des parents de Lucas.

Je me recule, craintive, prête à m'enfuir. Pourquoi sont ils là? Sa mère, d'une voix douce, me rassure :

"Non Ondine, ne t'en vas pas"

Je la regarde elle et son mari, puis la mamie Montclair. Refusant de comprendre. Refusant d'admettre qu'elle les a appelés. Qu'elle leur a dit. Je me sens gauche. Je triture mes doigts sans oser dire quoi que ce soit. Pourtant ses parents ne me donnent pas l'impression de me détester. Au contraire, ils semblent sereins.

"Nous devrions nous asseoir" propose le papa de Lucas, Paul.

"Bonne idée oui" répond la mamie Montclair.

Je m'apprête à tirer la chaise quand je relève la tête brusquement

"Vous voulez le voir?"

"Bien sur Ondine. On en serait vraiment ravis" me répond sa maman, Elizabeth.

"Il est dans le salon, dans son transat" précisais-je avant de les inviter à me suivre.

Ce n'est pas une bousculade, mais ça y ressemble. C'est à qui des deux sera le premier devant le transat. A qui des deux le verra en premier. Aucun mot ne sort de leur bouche. Ils sont muets de stupéfaction.

"Mon dieu! On dirait Lucas" s'exclame Elizabeth

"La même couleur de cheveux, les mêmes traits de visage" continue Paul

"Il est magnifique Ondine" me félicite t'elle

"Merci" répondis je du bout des lèvres. Je les laisse avec Eliott puis repars dans la cuisine où je m'assois sur une chaise en les attendant. La mamie Montclair me rejoint, puis de sa main caresse mon dos en un geste apaisant. Les parents de Lucas reviennent vers nous, en souriant puis s'installent autour de la table.

Qui parlera en premier? Qui lancera l'inévitable discussion dont j'aurais préféré me passer? C'est la mamie qui le fait. Elle qui s'excuse tout d'abord de les avoir prévenus.

"Ondine, je sais que tu vas probablement m'en vouloir, mais c'était trop lourd à porter pour moi, il faut que tu le comprennes" m'avoue t'elle

"Je ne vous en veux pas. Je suis un peu perdue c'est tout"

"Ils savent tout ce qui s'est passé avec ta maman"

Je sursaute, apeurée. Non, pas ça. Il ne faut pas.

"Ondine, tout va bien. Nous nous doutons à quel point cela doit être difficile pour toi. De le vivre. D'en parler" commence Paul

"Et nous aimerions t'aider. Etre présents pour toi et Eliott" continue Elizabeth

Je prends le temps de réfléchir quelques minutes puis réponds, franchement :

"D'accord, mais à une seule condition" imposais-je


Février 2017 - Ondine

Je hais le blanc. Qui a dit que le blanc était une couleur? Ce n'en est pas une. Le bleu est une couleur. Le rouge aussi. Le vert. Pas le blanc. C'est pourtant ce que je vois depuis hier soir. Depuis qu'une ambulance m'a emmenée ici pour que je puisse me reposer. Je n'ai pas besoin de repos. J'ai juste besoin de mettre en ordre le bordel qui se trouve dans ma tête et dans ma vie. Plus de vingt quatre heures que mon portable est éteint. Pas envie. Pas le courage de l'allumer. Pas envie d'entendre sa voix.

Le calme règne ici. Pas un bruit. Que du silence. J'ai le droit aux visites. Pas toute la journée. Juste deux heures chaque après midi. C'est tout. C'est mieux que rien. Le personnel est gentil. Ils parlent tous avec la même intonation. Une voix douce. Apaisante. Je n'ai pas beaucoup d'appétit. Mais je dois manger, même un peu sinon j'aurais une perfusion. Ce que je refuse. Je dois y arriver. Je dois lutter contre ce mal qui me ronge. Je ne suis pas comme elle. Je ne ferai jamais de mal à qui que ce soit.

Le médecin est passé me voir ce matin. Pour discuter. Il avait récupéré mon dossier auprès du service qui s'était occupé de moi lors de la naissance d'Eliott. J'étais démolie. Détruite. Foutue. Ils m'ont aidé à me relever. A me montrer que la vie était belle. Que la mienne allait pouvoir recommencer. Avec Eliott.

Mon petit bonhomme. Mes yeux se remplissent de larmes en pensant à lui. Je ne peux pas me montrer dans l'état où je suis. Pas devant lui. Je l'ai toujours protégé de tout. De tous ces malheurs qui ont plombé ma vie avant lui. Un jour, il faudra que je lui parle. Que je lui dise ce que je ne lui ai jamais dit.

Le plateau du déjeuner est là. Posé sur la table à roulette que l'aide soignante avance vers moi. Je m'assois puis prend la fourchette. Des haricots verts persillés, un sauté de veau. Un morceau de fromage et un yaourt aromatisé à la fraise. Je mange doucement, sans appétit. Mais je mange. Même si je ne finis pas mon assiette. Même si je laisse quelques haricots et un petit morceau de viande.

Du bruit derrière la porte se fait entendre. Un chariot. Le plateau va bientôt repartir. Peut être aurais je droit à un petit sourire de l'aide soignante quand elle verra que j'ai mangé? Je me recouche. Tire le drap sur moi. Puis attend que le sommeil vienne. Mais il ne vient pas. La seule chose que j'entends ce sont des bruits de pas dans le couloir puis des voix que je reconnais derrière la porte.



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