Café des rencontres. Table du fond. Sur la terrasse. Le type assis dans le coin, contre le mur crépi. Là-bas, un peu caché. Le dos courbé. Je m'appelle Dédé, je suis contre le mur. Il est beau ce mur. Il me rappelle Cynthia. Il est blanc, avec des petits points sortant de sa surface... un peu comme de l'acné.
Elle est belle, Cynthia. C'est la plus belle.
J'attends. C'est bien une glace, sur ma table. Elle s'appelle "Volupté de vanille aux framboises". Elle est belle, la glace. Elle me rappelle Cynthia. Il y a quatre boules blanches. Celle du bas un peu plus grosse, celle du haut plus petite. Et deux au centre. Les framboises, un peu partout. Comme des volcans rouges sur la vanille... J'aime bien, la chantilly. Mais ici, il n'y en a pas. C'est une glace toute simple, en l'honneur de Cynthia.
Autour de moi, les deux murs crépis ; et trois tables, plus loin. Moi, je suis derrière une paroi de bois, un truc pour jardins, à l'abri des regards. Mais je vois à travers. Je vois les tables, sur la partie principale de la terrasse. Elles sont belles, les tables. Elles me rappellent Cynthia. Elles ont toutes quatre pieds, décorées d'une jolie nappe. Blanche, à pois rouges... qui me rappellent Cynthia.
Elle est belle, Cynthia. C'est la plus belle. C'est la mienne.
Sur les tables, là-bas, je ne vois rien. Personne. La terrasse est vide, le bar est vide... J'aime le vide. C'est beau, le vide. Il me rappelle Cynthia... Enfin... si, il y a quelqu'un. Il y a le serveur. Comme chez Cynthia. Le serveur. C'est la seule table qu'il m'a trouvée. La seule. Les autres, elles sont déjà prises. Réservées.
Je le savais. Tout à l'heure, ce sera la fête. Un mariage. Il y aura du monde. Beaucoup de gens. C'est pour ça que je suis là. J'aime la fête. On y rit. J'aime les rires. Oh oui, j'aime les rires. Ils me rappellent Cynthia, quand elle parlait de moi.
Cynthia, elle sait rire. Elle le fait, quelques fois. Moi, je ne sais pas. Et c'est si dur de faire rire quelqu'un quand soi-même on ne sait pas ; c'est si dur de voir que l'on fait rire quand soi-même on ne sait pas... Et je ne sais pas non plus pourquoi, mais... j'aime.
Le serveur vient sur la terrasse. Il était à l'intérieur du bar. La porte a grincé. Elle est belle, cette porte, elle est blanche, pure. Mais elle grince. Elle me rappelle Cynthia. Le rire de Cynthia. J'aime son rire. Un rire pur sortant de ses dents blanches...
Elle est belle, Cynthia. C'est la plus belle. C'est la mienne. Pour toujours.
Il vient vers moi. Ils vont arriver, qu'il me dit, le serveur. Vous avez fini ? Moi, je lui réponds que non. Car je n'ai pas commencé. Alors il repart... Il y a la glace, devant moi. Elle a un peu fondu. Il ne fait pas aussi froid dehors que dans mon cœur. Alors elle a fondu. C'est drôle. J'aime voir fondre une glace. Petit à petit... La chaleur qui s'imprègne, l'acharnement de la glace pour résister. Et finalement, la capitulation. C'est drôle, ça aussi, ça me rappelle Cynthia. Froide au début, qui se réchauffe ensuite, avant de capituler. Le soleil l'a fait fondre. Même le soleil m'a quitté pour Cynthia. Elle est belle, Cynthia. C'est drôle. Sur ma glace, c'est la vanille qui a fondu. Chez elle, ce sont les framboises. C'est drôle.
Elle est belle, Cynthia. C'est la mienne. Pour toujours et à jamais.
Dans ma veste, j'ai de quoi en être sûr ; à jamais ; à moi pour toujours. Ils font un repas, avant d'aller à la mairie. Un avant, un après. C'est drôle, moi je n'aurai pas fait ainsi. Si je m'étais marié. Non. Je n'aurai pas fait ainsi. Mangé ma glace. La cuillère à coté. Voilà ce que j'aurai fait. La cuillère... Elle est laide, ma cuillère. C'est une toute petite cuillère, maigre et sale. Elle me fait penser à Machin. Machin, l'affreux voleur. Le soleil noir. Le voleur de glace aux framboises fondues.
Tous les invités seront là. Et eux deux, bien sûr. Au centre. Machin. Et Cynthia ; à moi, pour toujours. Elle me verra, viendra à ma table, elle me dira bonjour. Seulement bonjour... Je viendrai à la sienne. Machin me repoussera. Et j'appuierai sur le bouton. Cynthia, pour toujours. Elle est belle, Cynthia. Elle me fait penser au soleil. Au soleil qui éblouit. Au soleil qui explose. Le feu. Boum.
Elle est belle, Cynthia. C'est la mienne. A jamais.
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Brèves (G. GEAUZ)
Short StoryVenez découvrir la console post-next-gen à générateur d'illusions, entrez dans la prison de la joie, combattez les pères fouettards, écoutez l'androïde, caressez le matou ou mangez de la glace, mais surtout, ne lisez pas les petites annonces. Drôle...