Nothing to lose.

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   Les rues de Los Angeles étaient toutes pleines à craquer. Toutes, sauf les plus petites et les plus sombres. Sauf celle où s'étendait le corps maigrichon et pâle d'une jeune fille.
Son corps abîmé, affalé contre un mur et baignant dans une flaque de sang asséchée à mène le goudron sale, semblait être un reflet de ce dont elle a vécu, tout comme ses yeux, dénués d'expression, — pas de haine, pas de tristesse, ni de mélancolie... — étaient le miroir de son âme anéantie.
    Quelque chose de semblable à de la poudre blanche était parsemée un peu partout dans la ruelle. Ici, étrangement, le bruit habituellement assourdissant de Los Angeles semblait lointain. Très lointain. La jeune fille à l'âme saignante ferma alors doucement ses yeux, laissant la douce brise de vent caresser son corps mourant et complètement affaibli par le poids du désespoir.
Elle pouvait sentir les plaies picoter sur son avant-bras gauche comme si des milliers d'aiguilles s'enfonçaient doucement dedans. C'était une sensation qu'elle ne connaissait que trop bien. Sa bouche était totalement asséchée, et elle sentait l'énergie, — cette même énergie que possèdent tous les enfants lorsqu'ils courent joyeusement dans un parc ou bien sur une aire de jeu, le sourire dominant leurs visages heureux —,  la quitter de plus en plus.

— Hey..., une voix grave et masculine la fit sursauter, et elle sentit son cœur battre à nouveau dans sa cage thoracique.
Elle ouvrit alors brusquement les yeux. La peur et la méfiance s'y lisaient.

— Ça va? s'inquiéta l'homme.

Sa peau était mâte et sa masse de cheveux bouclés était si grande qu'elle ne pouvait même pas distinguer son visage.

Il s'agenouilla à côté d'elle. Environ un mètre les séparait. Elle l'observait calmement, consternée. Débardeur blanc, veste en cuir noir, jean bleu clair déchiré qui laissait voir un tissu noir et des bottes noires cloûtées. Un rocker, sans aucun doute.
La jeune fille regarda son reflet dans les lunettes de soleil du jeune homme et tressailli. Des frissons lui parcourent le corps depuis le bas de sa colonne vertébrale tel un million d'araignées parcourant son échine.
Évidemment, qu'il s'inquiétait... Elle avait l'air minable, avec ses cheveux bruns décoiffés, sa robe blanche toute froissée, ses petites converses noires sales et complètement déchirées et, surtout, son teint livide, blanchâtre, mourant, ses grosses cernes et ses yeux d'un mélange de bleu, de vert et de gris qui trahissaient une souffrance si horrible que le jeune homme en eut le vertige.
Ses lèvres étaient gercées et légèrement entrouvertes, comme si elle mourrait d'envie de boire. C'était d'ailleurs le cas.
   Lorsque l'homme vit son bras ensanglanté et le couteau posé juste à côté, il déchira son débardeur et banda ses plaies avec.

— Tu peux marcher? demanda-t-il.

La jeune fille se répéta la question dans sa tête, et celle-ci sembla y résonner: "Est-ce que je peux marcher?"
À vrai dire, elle ne sentait même plus ses jambes. Elle avait l'impression que deux énormes boules y étaient accrochées, comme chez un prisonnier, et qu'elle ne pourrait faire un seul pas. Ces boules étaient, en réalité, le poids de sa souffrance. À cette pensée, deux petites larmes coulèrent lentement sur ses joues, laissant une trace sur leur passage.
   Le jeune homme, voyant sa faiblesse, la prit dans ses bras. À partir de ce moment là, ses paupières se rabbatirent sur ses yeux remplis de larmes et son esprit se vida. Elle sombra dans un sommeil profond.

Lorsqu'elle ouvrit enfin les yeux, elle était dans une pièce aux murs et au plafond blanc, allongée sur un lit bleu foncé.
— Tu vas mieux? la questionna le jeune homme.

Elle hocha doucement la tête pour dire oui, mais c'était un mensonge, et il le remarqua.
"Penses-tu vraiment que j'ai l'air d'aller mieux? Crois-tu qu'un lit et une chambre effaceraient toutes mes souffrances?" semblait-elle penser.

   La pièce avait une odeur désagréable. Une odeur d'alcool, de cigarettes et de drogue qu'elle ne connaissait que trop bien.
Mais néanmoins, elle était reconnaissante envers l'homme à la crinière de lion. Cela faisait des semaines qu'elle était affalée dans cette ruelle, et personne n'en avait rien à faire. Chacun avait sa vie. Chacun luttait pour sa vie. Alors elle n'allait pas se plaindre, il l'avait tout de même arraché aux bras de la mort.
La mort...
C'était pourtant ce dont elle rêvait depuis des années.
C'est dingue. On dirait qu'il y aura toujours un obstacle entre cette foutue mort et moi, pensait-elle.

— Je t'ai préparé à manger. Viens.
Son ton autoritaire fit comprendre à la brunette qu'elle n'avait pas le choix.
Alors, encore très faible, elle se leva, les jambes tremblantes, et le suivit.
   Ils passèrent dans un couloir et arrivèrent dans un énorme salon. Le bouclé la fit s'assoir sur une chaise devant une table blanche et ronde et posa devant elle une assiette avec des oeufs au plat, du bacon et des pommes de terre.

— Mange, il ordonna.

La brunette se rendit alors compte à quel point la faim lui songeait l'estomac. Ni une ni deux, elle commença à engloutir le contenu de son assiette. Sentant le regard pesant du jeune homme sur elle, cette dernière détourna les yeux et remarqua une pile de magazines sur un grand canapé marron à sa gauche.
Sur la couverture même d'un magazine se trouvait cinq garçons au look plus rock n' roll que jamais. Elle les inspecta minutieusement tout en mangeant. L'un d'eux ressemblait curieusement à l'homme devant elle.
La jeune fille leva les yeux vers lui, puis les baissa sur le magazine.
  Fronçant légèrement les sourcils, elle pointa du doigt l'homme bouclé sur le magazine et demanda :
— C'est toi ?
Le jeune homme tressaillit, surprit qu'une fille aussi petite et faible ait une voix aussi rauque et sexy.

— Oui, répondit-il calmement, le visage indéchiffrable.

«Guns N' Roses» était marqué en haut de l'image. Elle lut silencieusement le paragraphe se trouvant en dessous de la photo.
«Guns N' Roses, le groupe de hardrock le plus dangereux au monde, va bientôt être en concert à Los Angeles»

La jeune fille leva de nouveau les yeux vers lui. Il n'avait pas l'air dangereux. Il fallait, évidemment, se méfier des apparences, mais elle n'en avait plus rien à faire.

— Comment tu t'appelles? il demanda.
— Iris.

Sa voix suave lui procura des frissons le long de la colonne vertébrale.
— Et toi? demanda-t-elle.
— Slash, il répondit.
Après un moment de silence durant lequel tout deux s'observaient — elle en le fixant, obnubilée et lui en lui esquissant un sourire —, Slash se décida à parler.
— Je fais partis de la bande la plus dangereuse au monde, dit-il, un sourire moqueur aux lèvres. Tu n'as pas peur ?

Iris, à son tour, eut un sourire taquin.
— Tu n'as pas l'air dangereux.
Elle baissa les yeux vers son assiette vide et, le regardant à nouveau, ajouta dans un souffle:
— De plus, je n'ai plus rien à perdre.

Je n'ai plus rien à perdre, se répétait-elle dans sa tête.

Slash la dévisagea silencieusement de ses profonds yeux marrons, presque noir.

— Je connais cette sensation, murmura-t-il.

Nothing To Lose.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant