« C'est comme si le temps s'était arrêté, depuis que je suis rentrée dans cette chambre. Comme si, mon coeur ne battait plus, mon sang ne coulait plus dans mes veines, comme si je ne respirais même plus. J'ai su dès le début, et le sais encore plus. Je le sais depuis qu'elle a été hospitalisée, je le sais depuis que "Père" est devenu encore pire, je le comprends encore plus violemment en voyant le visage grave des médecins, et maintenant j'ai gravé dans mon esprit que c'est fini, maintenant que son visage pâle se tient près de moi. C'est fini.
Je ne pleure pas, ou alors ne le sens même pas. J'ai l'impression de ne pas être présente, d'être spectatrice de ce qui sera mon dernier souvenir avec ma mère, j'ai l'impression de ne presque pas l'entendre s'adresser aux deux autres de sortir pour nous laisser seules, comme si son mari et son fils ne lui donnaient pas envie de profiter d'eux encore un peu. Comme s'il n'y avait que moi pour elle. Peut-être parce que pour moi il n'y a qu'elle, et que maintenant qu'elle part il n'y aura plus personne.
Je me sens vide. Pas réellement triste, ni brisée. Vide. Comme si je n'avais pas encore totalement conscience de l'instant présent. Je suis aussi presque en colère. Comment peut-elle me laisser seule avec eux? Comment peut-elle me demander de les gérer alors que je n'ai qu'11 ans? Je suis peut-être mature. Grande. Mais pas assez forte pour ça.
-Tu t'en sortiras. me dit-elle alors, comme si elle avait lu dans mes pensées.
Ce simple fait brise mes derniers remparts, et mes yeux s'humidifient. Elle s'en va. Elle. Qui m'a comprise. Soutenue. Aidée. Aimée. Défendue. Elle part. A jamais.
-Maman.. murmuré-je, de ma voix brisée.
-Viens là, Amy.
J'obéis, ne supportant plus de sentir mes jambes trembler malgré mon effort d'immobilité. Je prends place sur la chaise grise et métallique près de son lit. Nos mains s'attrapent, et je frissonne face au contact sec et abîmé de sa peau.
-Tu t'en sortiras, tu le sais? Tu es forte, mon coeur. Tu te battras, je le sais. N'abandonne jamais rien. Je sais que tu en es capable, garde la tête haute, ma grande.
Elle prononce ça comme si c'était évident. Comme si je pouvais réussir avec son absence.
- Je ne pourrais pas, Maman..
-Tu pourras. m'assure-t-elle. Mais promets moi une chose, chérie.
-Tout ce que tu veux.. Je peux tout te promettre d'avance.
- Ne fume jamais. »
Ce sont les derniers mots de ma mère. Elle n'a plus rien dit, elle n'en a pas eu le temps, ni l'envie je suppose. Elle s'est envolée pour un autre univers cinq minutes plus tard. Comme si sa mission sur Terre était accomplie. Mais elle ne l'était pas. J'avais et ai encore besoin d'elle pour me surveiller.
Alors je l'imagine, avec sa tête plutôt ronde et ses yeux noisette qu'elle m'a légués, je l'imagine m'observer quand je passe du temps avec Nathanaël, mon petit ami. Je l'imagine vouloir me consoler dans ces moments où j'explose. Je l'imagine me réprimander avec douceur quand j'ose répondre à Néo, que je n'appellerai ni Père ni Papa, me regarder avec fierté quand je remets cette Elora à sa place. Je l'imagine me rassurer sur mes angoisses, comme celle de la rentrée qu'il y aura demain. Je l'imagine me dire, les yeux brillants, que je suis belle comme un coeur (même si c'est faux) avec mes cheveux châtains coupés à la garçonne et ébouriffés, mes yeux noisette identiques aux siens, ma veste en cuir, mon jean troué.
Je sais que Elora désapprouve que la fille de son mari se comporte comme un garçon manqué, si seulement elle savait.. Et je sais que Néo me traite d'erreur de la nature, que c'est normal que Maman soit morte avec une fille comme ça, et que de toutes façons il ne me juge pas comme sa fille légitime. C'est pas grave, c'est normal. C'est juste mon paternel.
Un sourire ironique se dessine sur mes lèvres, tandis que je concentre mon regard d'abord sur la tombe où est gravé "Capucine Gruber ; 1972 - 2014". Ca fait longtemps que je n'en pleure plus. Cela fait également longtemps que je me rends ici, dans ce cimetière. Ca fait longtemps que je repense à ma promesse.
Promesse que j'ai tenue jusque là. J'ai souvent ressenti le besoin de la briser, de mes libérer de mes chaînes. Après tout c'est bien Mme Daisen qui me l'a dit : "Tu ne dois rien à personne, Amy". Elle a raison, sans doute. Et c'est donc cette cigarette entre les mains, que j'hésite. Julie, ma meilleure pote, fume, Elora fume, et l'odeur du tabac m'accompagne et m'apaise presque tout le temps. J'en ai envie. Envie d'aller envoyer cette promesse paître. Mais j'en suis incapable. Je me dégoûte par cette faiblesse, mais je n'y peux rien.
Je suis certes faible, mais j'aime ma mère. Je ne peux pas la trahir.
Je jette " l'objet" au sol, l'écrase avec ma chaussure. J'ai fait une promesse et je la tiendrai.
-Je reviendrai dans un mois Maman. Ou plus tôt, si quelque chose se passe. Tu as le bonjour de Julie Bourget, tu sais, la blonde qui avait tout le temps une natte. Elle t'aimait bien et je crois que c'est réciproque. Bisous, je t'aime Maman. prononcé-je.
Mes yeux me piquent, comme à chaque fois. Mais comme à chaque fois, aucune larme ne coule. Il s'agit de guérir. De grandir. Je peux le faire. Elle le disait. Elle y croyait. Ma mère ne croyait qu'en ce qui était possible. Alors j'y crois. Je veux y croire.
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Le Moulin aux Etoiles
RomanceL'autre là ; Toujours heureuse. Toujours de bonne humeur. Toujours aimée et aimante Comme si la vie n'avait aucune emprise sur elle Comme si rien ne comptait à part le bonheur, comme si elle ne voyait que ça Comme si il n'y avait aucunes souffrances...