Chapitre un

47 7 0
                                    

Je marche dans Paris. Mon souffle s'élève en volutes opaques dans la nuit. Je n'aurais pas dû sortir après le couvre-feu, pourtant je n'ai pas pu m'en empêcher.

Comment résister à l'appel des étoiles, de ce disque d'argent, de la masse d'ombre de la nuit? C'est simple, on ne peut pas. Point. Si je le pouvais, je suivrais le chemin de la voie lunaire plutôt que le chemin de la voie dystopique, car mon chemin l'est, c'est certain. Je suis peut-être dans mes pensées mais je ne suis pas stupide.

Comment ma vie pourrait-elle être utopique avec cette fichue guerre? Elle ne le peut en aucun cas. Ça ne sert à rien de se voiler la face.

Voilà les pensées qui tourbillonnent dans ma tête alors que mes pieds foulent les pavés d'un pas rapide, furtif et discret.  

En longeant le Canal Saint-Martin, des éclats de voix viennent briser le silence de la nuit qui m'entourait jusqu'alors. Tendu et curieux, je m'approche de la source à pas de loup et me cache derrière une caisse abandonnée à son sort. Malgré mes efforts, je ne parviens pas à distinguer plus de quelques mots qui me donnent des sueurs glacées; on parle de Gestapo et de mon père! D'après ce que j'ai pu saisir, cela n'augure rien de bon. De plus, il me semble qu'une des voix m'est familière. J'ai beau me creuser la tête, il m'est impossible de l'identifier.

Pris dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que les voix s'éloignaient. Il ne faut pas que je les laisse se fondre dans l'obscurité de la nuit!

Je sors de ma cachette et les prends en filature. Au fur et à mesure de ma progression, ma respiration se fait saccadée, mon cœur part en vrille, et mes jambes tremblent.

Je réalise que la peur m'a gagné. Ce n'est pas bien compliqué pour elle de m'atteindre. Il fait nuit, il fait froid, je suis seul, personne ne sait où je suis, et s'il m'arrivait quelque chose, cela passerait totalement inaperçu dans le chaos qu'est ce monde.

Soudain, alors que je commence à désespérer, les deux silhouettes s'arrêtent au détour d'une rue sous un réverbère, et j'aperçois enfin leurs visages. Ce sont des hommes. Qu'elle n'est pas ma stupeur lorsque je constate que l'un d'entre eux n'est autre que mon oncle! Que fait-il là ? Puis je prends conscience de l'endroit où nous sommes. Devant le Moulin Rouge!

Mon oncle et l'homme qui l'accompagne se dirigent vers l'entrée des artistes surmontée de deux oriflammes à croix gammée et surveillée par deux SS armés. Quand mon oncle passe la porte, l'un des SS lui remet une enveloppe. Tout cela est bien louche. Il faut que je les suive! Mais comment passer le barrage des soldats allemands? Ils ne laisseront jamais entrer un gamin comme moi.

Perdu dans les méandres de mon esprit à la recherche d'une solution, je sursaute lorsqu'une main se pose sur mon bras et que je sens un couteau se glisser sous ma gorge!

Liberté emprisonnée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant