Chapitre deux

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Pétrifié, je n'ose plus faire un seul mouvement ! Et même si je le pouvais, je pense que je n'irai pas bien loin entre les SS d'un côté, et de l'autre, mon mystérieux assaillant.
"Ne t'en fais pas, je sais que les apparences sont trompeuses, mais je ne te veux aucun mal ! Tout ira bien si tu fais exactement ce que je dis. Ne tente aucune chose stupide, comme crier ou t'enfuir par exemple. Cela conduirait à ta perte, à celle de ton oncle et à la mienne irrémédiablement! Maintenant, on va reculer tranquillement avant que les deux SS ne nous repèrent, et tu vas me suivre calmement sans faire d'histoire." me murmure à l'oreille une voix féminine tout en retirant la lame d'acier qui scintille brièvement sous l'éclat de la lune. Je me retourne et vois une silhouette encapuchonnée qui fait signe de me taire et de la suivre.

Pourquoi la suivrai-je? Comment pourrai-je avoir confiance en cette apparition qui m'a glissé un couteau sous la gorge? Voyant mon hésitation, elle me sourit comme si elle compatissait. Compatir à propos de quoi? De cette guerre atroce? De l'être gringalet que je suis? De mon sort? Dans ce cas, quel est mon destin? Celui de périr à cause d'une seconde d'inattention? Celui de voir tous mes espoirs partir en fumée à cause du feu de la violence qui réduit les hommes en esclaves à son vil service? Voilà bien un triste et funeste destin.

Reprenant mes esprits et rangeant mes sombres pensées dans un coin de ma tête, je constate que l'étrange femme ne m'a pas attendu et tourne à l'angle d'une ruelle. Instinctivement, mes jambes s'élancent à sa suite, et c'est comme cela que nous parcourons bien des lieues. Elle devant, se fondant dans les ombres de la nuit, et moi, la suivant tant bien que mal. Durant notre course effrénée, nous ne croisons personne. Le manteau de la nuit doit sûrement être à l'œuvre afin de nous dissimuler au regard de possibles âmes errantes.

Soudain, alors que le souffle commence sérieusement à me manquer, nous nous arrêtons devant la porte d'une maison de pierre qui s'ouvre avant même que l'un de nous puisse frapper. Poussé en avant, je pénètre dans une pièce qui me semble être un salon, mais sans aucune lumière, je ne peux l'affirmer avec certitude. La porte claque derrière moi en grande hâte et une voix gutturale perce alors l'obscurité pour nous dire de la suivre. Je distingue alors un homme de haute stature qui se tient dans l'encadrement d'une autre pièce que je n'avais pas remarquée avant. Dans cette pièce, une bibliothèque a été déplacée et on peut y voir une porte dérobée qui donne sur une rangée d'escaliers paraissant s'enfoncer jusque dans les entrailles de la terre. Je m'y engage donc, précédé par l'inconnue, la porte se referme, et les ténèbres nous engloutissent. A présent, je ne peux plus revenir en arrière. Alea jacta est!

La descente me semble interminable. A chaque tournant, je crois que nous sommes enfin arrivés, mais mon espoir est de courte durée quand une énième rangée d'escaliers se fond dans l'obscurité qui règne ici. Où est donc cet "ici"? Je n'en ai strictement aucune idée. Mes repères sont chamboulés. Je ne sais pas si la nuit s'est éclipsée pour laisser place au jour. Si le soleil brille dehors ou non. Le soleil. Le reverrai-je un jour ou suis-je condamné à servir les ténèbres qui m'entourent en ce moment?

Des éclats de voix se font entendre en bas des escaliers et nous débouchons dans une immense pièce qui semble avoir été taillée à même le roc. Des stalactites et des stalagmites se situent ça et là. Ce n'est pas une pièce mais une grotte aménagée! Je reste sans voix.
Des lits de camp sont dressés un peu partout et des gens sont rassemblés autour d'un feu. Ils discutent avec animation. Ma mystérieuse inconnue lance alors un "bonsoir" d'une voix forte! Tout le monde se retourne, et un chahut éclate.
Des questions fusent, mais je distingue de moins en moins les sons et ma vue se peuple de papillons noirs et translucides. Serait-ce des angelots des abîmes venus pour éteindre la flamme de ma vie? Telle est ma pensée avant qu'un gouffre d'obscurité total ne me tombe dessus.

Lorsque que le monde et ses sons me reviennent à nouveau distinctement, des visages inquiets me contemplent et mon inconnue me dit alors:
"Tu es en sécurité ici, ne t'en fais pas. Nous veillons sur toi."
Mais où est donc cet ici à la fin? J'en ai plus qu'assez de ne pas avoir de réponse!
Agacé, je tente de me lever, mais des mains me repousse gentiment sur la couche où l'on m'a déposé après ma perte de connaissance.
"D'accord je ne bouge plus! Mais je veux savoir où je suis et qui vous êtes!" dis-je d'une voix que je voulais forte mais qui se révèle à ma grande honte pleurnicharde, je dois l’avouer.
La femme me répond enfin:
"Je me prénomme Grive, et tu te trouves dans une des planques de la Résistance. Je surveillais ton oncle car il est l'un de nos résistants infiltrés. Je devais veiller à ce qu'il ne lui arrive rien quand je t'ai aperçu. Tu m'excuseras mais je ne pouvais pas te laisser te jeter dans la gueule du loup et risquer de faire capoter la couverture de ton oncle! Du coup, j'ai dû employer les grands moyens afin de te faire venir ici. Je ne pouvais pas te laisser partir, d'ailleurs je ne le peux toujours pas. Pourquoi? Car tu as vu et entendu des choses que tu n'étais pas censé voir ni entendre et qui peuvent mettre des vies, tout comme la tienne, en péril si ces choses parvenaient aux oreilles de ces fichus nazis! Je suis navrée Lucien, mais tu n'as que deux possibilités. Soit tu attends dans cette planque la fin de la guerre, car elle se finira bien un jour, soit tu deviens actif dans la Résistance. Dans le cas premier, nous avertirons ta famille que tu es en sécurité ici et que nous nous occuperons bien de toi, cela va de soi. Dans le cas second, tu mèneras une double vie. Tu retrouveras ta vie de tous les jours, mais tu n'oublieras pas que tu devras être prêt à notre appel. Alors que choisis-tu Lucien?
-Je..."

Liberté emprisonnée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant