La Cage [FINI]

Chapitre 23 - Se rendre à l'évidence

Plusieurs semaines sont passées depuis mon altercation avec Viviane. Peut-être plusieurs mois. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a peu de temps, le soigneur a dû me couper les cheveux. Ce qui était un carré court me tombait jusque dans le dos et il était temps d'y remédier. Pourtant, à la maison, je n'allais chez le coiffeur que deux ou trois fois par ans pour couper les pointes. Je dois être ici depuis tellement de temps...

Je pense donc qu'après tout ce temps, la sexagénaire a fini par mettre notre désaccord de côté. Pas moi. La rancune est probablement mon pire défaut. Par conséquent, ma confiance est très difficile à regagner. Je regrette sincèrement d'être aussi bornée mais je sais que sans excuses, je n'arriverai pas à avancer. Je ne parle donc plus à Viviane que dans le cadre de l'Aquilon. Cela ne m'a pas empêchée de m'investir dans notre projet de fuite même si, il faut bien l'avouer, nous n'avons pas avancé du tout. Aucun membre n'a pu rencontrer Prolin Revi à son tour et faute de pouvoir communiquer avec nos joailliers, nous ne pouvons pas recueillir de nouvelles informations. Pourtant, et ce malgré des techniques de recrutement dignes des pires témoins de Jéhovah, nos rangs se sont enrichis d'une jeune femme brune, Romane, et d'un homme proche de la cinquantaine, Martin. C'est probablement leur enthousiasme à nous rejoindre qui nous a permis de garder espoir. J'ai aussi pu rencontrer Alanys, une femme d'une vingtaine d'années à la longue chevelure d'ébène, ainsi que deux enfants, Maxime et Elliot. Je suis heureuse de savoir que Lilly a des camarades de jeu mais aussi déçue de comprendre que notre alliance fragile compte si peu d'adultes.

Finalement, ceux avec qui je me suis le plus liée sont Jean et Gédéon. Le premier n'a toujours pas accepté de rejoindre l'Aquilon. Cependant, il m'en demande des nouvelles de temps à autre ce qui me pousse à croire qu'il n'ose pas espérer en vain mais que je lui transmets tout de même un peu de mon optimisme. Cela me rend fière car comme je l'ai appris ici : l'espoir fait vivre ! Lui même me fait beaucoup de bien car je peux lui parler de ma famille, en particulier d'Amandine, sans qu'il me prenne pour une enfant manquant d'autonomie. Notre peine trop semblable ne laisse place à aucune moquerie et je peux lui conter sans crainte tous les séjours à l'hôpital causés par la malformation du cœur si fragile de ma sœur. Il m'écoute toujours avec bienveillance et je crois que j'ai trouvé en lui le grand-père que je n'ai jamais eu.

Quant à Gédéon, je ne sais pas si c'est parce que nous n'avons que trois ans d'écart mais nous avons développé une intense complicité. Je peux l'écouter des heures me parler avec passion d'astronomie alors qu'avant je m'intéressais plus aux elfes des récits fantastiques qu'aux merveilles de l'univers. Et pourtant, à ses côtés, je comprends combien ce qui nous entoure est complexe et tout aussi merveilleux que n'importe quelle magie. Il arrive à me faire rêver sans enjoliver la réalité et je trouve très agréable de se dire que notre monde est aussi beau que celui des nymphes et des fées.

De mon côté, je lui partage ma passion pour la lecture et l'écriture. Nous nous sommes rendus compte que nous avions le même livre de chevet, Le Petit Prince, et cela a encore renforcé notre amitié décente. Il en a profité pour me comparer au petit héros du livre. Selon lui, je lui ressemble beaucoup. Je me suis laissée tentée par le serpent pour rejoindre une rose qui s'appelle Amandine. Sauf qu'à ce moment-là, moi je n'avais ni aviateur, ni renard. Je trouve sa comparaison cohérente et quand j'ai des remords quant à ma tentative de suicide, je repense au Petit Prince et me sens moins coupable.

D'ailleurs, c'est sous les conseils insistants de Gédéon que j'ai commencé à retranscrire notre improbable aventure sur la planète Exo2507. Cependant, pour ne pas déprimer, j'ai décidé de changer les personnages et de l'écrire à la troisième personne. Je ne suis pas dupe et suis consciente que chacun de mes mots reflète ma propre vie, mais cela me permet justement de prendre un peu de recul face à la situation. C'est d'ailleurs en cherchant comment mes nobles héros pourraient s'en sortir que j'ai compris comment avancer. Quand j'ai relu ce que j'avais rédigé, tout m'a paru tellement clair ! J'ai dû me rendre à l'évidence : la seule manière d'obtenir des informations est de parler à l'Ambassadeur du peuple primaire. Or l'unique méthode d'arriver dans son bureau à notre connaissance, c'est la tentative de suicide. La conclusion même si elle m'effraie s'est donc imposée à moi je dois faire croire à une deuxième tentative de suicide !

Évidemment j'en ai tout de suite parlé à gédéon qui s'y est d'abord opposé en arguant qu'il vaudrait mieux que ce soit quelqu'un qu'il n'ait jamais vu, juste pour être sûr qu'il n'en n'ait pas marre de me gérer et qu'il ne décide pas de me tuer. Dans un premier temps d'accord avec lui, je lui ai ensuite fait remarquer que l'objectif était d'obtenir la communication avec les Abyssaux et qu'il serait plus simple que ce soit quelqu'un à qui il en a parlé qui s'en occupe. Nous avons débattu un moment à cause de sa volonté de me protéger mais il a fini par se ranger de mon côté en comprenant que je n'en démordrai pas et que je mettrais mon plan à exécution, que cela lui plaise ou non. Pour ne pas distiller de faux espoirs ou engendrer d'opposition inutile, je n'en ai parlé à personne d'autre.

C'est donc un peu en secret que je vais aujourd'hui tenter de changer notre destin. Bien décidé à être convaincante, j'attends qu'un Abyssal investisse la pièce pour me frapper la tête contre la paroi de ma cage avec une violence contenue. Comme prévu, la créature réagit beaucoup plus vite que la première fois et se précipite pour me sortir et me mettre dans le cube en métal.

J'ai un peu mal au crâne mais pour l'instant, mon plan semble fonctionner.

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Alors la nouvelle couverture vous plaît ? C'est moi qui l'ai dessinée. C'est un Abyssal.
Je vous met un dessin de Prolin Revi au prochain chapitre !