car'rouf

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- J'écris au ressenti, fais pas chier.

- Il avance ton bouquin ?

- Lequel...

Commence sérieusement à me taper sur le système le frangin. Je veux bien jouer les philanthropes, mais à mon rythme. Merci.

Sachant ô combien je déteste ce quartier, il est de son bon sens d'y aller mollo.

Se retrouver chaque samedi, coincé au milieu de ce parking miteux, bondé, bruyant, puant, pour trouver, non le Graal, mais une place pour ma caisse...Je dis désolée frangin, je m'arrête là. J'attends et j'écris.

- T'es sûre ? tu veux pas faire les courses avec moi ?

- Sans façon.

- Rends-toi utile au moins...

Au point où j'en suis, autant enfoncer le clou bien profond dans mon crâne. Mon récit en sera meilleur. Quel ironie ...taper la discussion avec le clodo de car'rouf.

Cette foutue angoisse m'attrape les boyaux. Clignotant à droite. Mamie s'en va. Je pique sa place.

Go.

C'est marrant de voir la réaction des gens... je m'en amuse. C'est pourquoi, je garde la tête haute, saoulée certes, mais aucune honte m'habite.
Je prends place à côté du clochard qui n'a pas encore remarqué ma présence. Trop absorbé par son litron.
Ce petit muret où il squatte depuis cinq piges, chaque jour en quête d'une pièce. Cet endroit même où je l'ai souvent entendu crier des saloperies aux passants sourds et aveugles.
Comme je les comprends...

- salut

Sa tête de chien battu fait surface, je le hais.

- t'as un peu de monnaie pour moi ?

- ouais

Conversation vide, sans fond. Rien. Toutefois, je suis là.

Je regarde comme lui les passants désabusés, curieux et avares de savoir ce qu'une fille comme moi, à peine âgée de 20 ans fout avec une loque pareil.

Je vous rassure, je me suis toujours posé la question.

Dégueulasse au possible, il pue la pisse et la crasse. J'ai beau le débarbouiller, la misère persiste sur son visage. Je n'y gagne que des injures et quelques remarques désobligeantes "arrête tes conneries ! Tu fais chier bordel !"

Alors, j'arrête.  Je laisse retomber le silence. Et j'écris.

- Comment va ta mère ?

- Elle fait d'son mieux

- Fais jamais de mômes

- Compte sur moi

Mêmes questions qui rappellent aux mêmes réponses. J'enchaine.

- Va te faire soigner, j'ai parlé avec une assistante sociale et...

- écoute poupée, je les emmerde ces professionnels de la jérémiade. Leur compassion mielleuse me dégoute. Je veux qu'on foute la paix.

Comme d'hab' mon cœur s'emballe, une kyrielle d'injures ont envie de sortir de ma bouche. Tout lui cracher à la gueule. Lui dire à quel point je le méprise, à quel point je hais ce qu'il est devenu. Dépourvu de tout ce qu'il a pu être.
Qu'il crève après tout. un parasite de moins pour notre système, un parasite de moins pour nous tous.

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Aujourd'hui, cet affreux est parti. Pour un monde surement meilleur. Qu'en sais-je... j'ai pas eu le temps de lui dire à quel point il m'a fait chier durant toutes ces années, à quel point il a été lache.
D'où je suis, je salue cet anti-héros.

- eh p'pa ! Toi, de la haut ou d'en bas, j'te remercie toujours pas, hein... mais je t'aime et tu le sais.

RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant