Impro

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03H22. Samedi.

Je tire sur mon gros spliff en zappant les centaines de chaines. Je m’arrête sur un reportage. Un reportage allemand avec une présentatrice allemande, qui donne des conseils allemands, la suprématie allemande, la morale allemande.
Me font chier les Allemands ce soir.
Cette tête pensante, bien gaulée, bien maquillée, bien blonde, nous explique comment élever nos gosses, comment les rendre autonomes, comment en faire de vrais petits soldats.

Cela me renvoie des années en arrière. A l’âge de sept ans pour être exact. Celui où tout était rose ou bleu, au choix.

L’époque où ma langue ne fourchait, là où elle restait dans sa poche. Où je n’avais nul besoin de la tourner sept fois dans le gosier. Elle était dans le genre discrète.
Elle répondait quand ça lui chantait, un strict minimum vital afin de ne pas s’attirer les foudres. « Oui ». « Non ». « Merci ».

Ma mère s’en faisait de mon silence, pensant que j’étais autiste ou je ne sais quoi. Pour cela, maman l’artiste et influençable, me forçait à dessiner mes émotions.
Un truc qu’elle avait lu dans un magazine, un article pondu par une spécialiste, une Dolto des temps modernes.
Je comprenais que dalle à sa psychologie. Mon père encore moins.
Afin d’éviter toute prise de tête, je lui dessinais des maisons, des bonshommes, des nuages et des fleurs. Elle y discernait du bonheur et de la joie, quant à mon père et moi, on voyait des maisons, des bonshommes, des nuages et des fleurs.

Ce qu’elle n’avait pas pigé la mère, c’est que je parlais dans mon silence. Oh oui...
Je parlais.
Sans cesse.
Dans ma tête.

C’est bien plus tard que j’ai compris : j’écrivais.
Et mon premier support ne fut pas une feuille blanche. Non. Ce fut mon père.

Je soufflais mes mots d’enfants, lui contant mes histoires dans le creux de l’oreille. Mes petites mains encerclant son lobe, protégeant mes archives.
C’était le début de ma dépendance. Cet irrépressible besoin de retranscrire. Non pour faire passer je ne sais quel message ou faire droit de ma pensée unique.
Non. Juste vider le trop-plein.
Un plein de tout, et même de rien.
Du sombre au clair-obscur.
Du flou à la raison.
D’une folie sage parfois abstraite, parfois concrète.
Du moi, mais pas que.

Et ce que j’en ressors, en ce qui me concerne : écrire ce n’est ni plus ni moins que le contraire de parler.

Il temps de couper la télé et de rallumer mon joint éteint.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 03, 2017 ⏰

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RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant