Le jour mourait, saignait sur de lourds bancs de nuages. Et les longues silhouettes noires des conifères les cernaient d'ombres qui dodelinaient dans la brise. Encore emmitouflé dans sa couverture, à l'abri au creux de la laine jetée sur sa tête à la manière d'une capuche, Corso quitta la charrette et se joignit au cercle formé autour du feu de camp. Les autres frissonnaient dans leurs manteaux, auprès de la flambée. Il s'assit sur une bûche.
Arrod passait une pierre à aiguiser sur le fil de sa lame, presque avec tendresse. Lyren, lui-même couvert de mailles, achevait de nouer son haubert dans le dos d'Artemus. Son chapelet entrelacé dans les doigts, son fourreau en travers des cuisses, Estrella murmurait une prière.
Ça sent la guerre.
De l'autre côté du feu, la Balafre l'observait, les yeux ronds, les lèvres pincées. Bien entendu, il avait fini par comprendre de quelle nature était Corso, et il le digérait plutôt mal. Il est complètement paniqué, le bougre. Mais le nosferatu essayait de le ménager. Raison pour laquelle il avait pris soin de s'installer à l'opposé de lui. À son côté, Rosie était pelotonnée dans les bras de sa mère, qui lui fredonnait une chanson. L'une comme l'autre sentaient que cette nuit serait dangereuse et Mira berçait doucement sa fille pour la rassurer.
« On peut se rapprocher du feu, maman ? demanda la gamine.
-Nous sommes déjà juste à côté, Rosie. Tu ne voudrais pas te brûler.
-Mais je tremble... »
Sa mère soupira. « N'aie crainte, nos amis veilleront sur nous. »
Corso se leva et déploya sa couverture pour les en envelopper. Le soleil avait disparu derrière les cimes crochues de la sapinière, il n'en avait plus besoin. Le vampire croisa le regard de la fillette et lui fit un clin d'œil. Tandis qu'il la bordait, elle lui attrapa la main et caressa du pouce les vilaines cicatrices de ses paumes. Ses doigts étaient si minuscules dans la paluche de l'Alycan. « Tu sauras quand même tenir ton épée ? » demanda-t-elle.
Il hocha la tête. « Mais si quelqu'un essayait jamais de vous faire du mal, avec ou sans épée, je lui réserverais un bien mauvais sort.
-Espérons seulement que tu ne nous prépares pas le même », grinça Arrod.
Corso se redressa de toute sa hauteur, arqua un sourcil, mais ne lui consentit pas d'autre réponse. Le Cassim cherchait toujours à le pousser dans ses retranchements. Qu'est-ce que Mira peut bien lui trouver ?
Artemus, enfin harnaché, se préparait une pipe. « Les siens veulent sa mort, n'est-ce pas ? Vous avez pu constater que Corso s'est battu à nos côtés, à l'auberge.
-C'est votre instinct qui vous dit ça ? Parce que le monstre, lui, peut vous raconter ce qu'il veut. » Arrod désigna le nosferatu de la pointe de sa lame. « Qui nous dit que les types de l'auberge n'étaient pas simplement une bande rivale de la sienne ? Qui nous dit que, maintenant que nous lui avons sauvé la peau, il ne va pas simplement nous attirer chez ses amis, d'autres monstres tout aussi sanguinaires... et gentiment se débarrasser de nous ? »
Le vent gémit dans les frondaisons et Corso put en voir quelques-uns frémir. La Balafre était tout pâle. Artemus alluma sa pipe à l'aide d'un tison. « Morbleu ! Mercenaire, vous atteignez doucement les limites de ma patience. Trouvez-vous que nous ayons besoin de davantage de craintes, d'appréhensions, de doutes ? Vous faites peur à la gamine, vous ranimez les inquiétudes de notre ami Ed, vous semez la dissension et, à terme, nous empêcherez d'agir dans l'unité, comme une seule et même équipe. » Contrarié, il tira quelques courtes bouffées. « Nous n'avons pas besoin de ça, surtout pas cette nuit. Enfin quoi, fiez-vous à moi quand je dis qu'on peut lui faire confiance. Je le jure devant Dieu et sur tout ce qu'il y a de plus sacré ! Et si, néanmoins, vous êtes trop obstiné pour comprendre, de grâce taisez-vous. »
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L'empire de la nuit
Fantasy#Lauréat des Wattys 2016 dans la catégorie "Coup de cœur du QG"# La paix dure depuis vingt ans ou peu s'en faut. Les rois et les seigneurs comme le petit peuple se souviennent de la terrible guerre du Roi-Loup, des batailles qui résonnent encore d'é...