Ça grouillait de partout, et ça criait, ça grognait, ça riait aussi. Quelle cohue, quel remue-ménage sur la grand route et la clairière alentour. Il avait fait chaud et sec tout le jour durant et un nuage de poussière s'élevait au-dessus du bivouac. Ici les hommes plantaient des tentes, là ils déchargeaient et faisaient paître les chevaux, un peu partout on allumait des feux. Lorsque le roi voyage, c'est une armée qui se met en marche, songea Corso.
« La maîtresse de maison veut garder sa cour propre. La cour est réservée à la noblesse, aussi allez puiser votre eau au fleuve ! » aboya un officier à ses hommes. Le cours d'eau était trois fois plus éloigné que le puits et une poignée de soldats munis de seaux passèrent devant Corso en bougonnant après cette grosse truie rouge. Ils laissèrent derrière eux un fumet de vieux cuir bouilli et de sueur qui lui fit revivre des souvenirs... des souvenirs de son ancienne vie.
Toute cette agitation lui avait fait quitter sa cachette, mais il se tenait à l'écart, à l'ombre de la grosse auberge, réfugié sous le manteau à capuche rapiécé que lui avait apporté Mira pour faciliter ses rares allées et venues. Le soleil disparaissait peu à peu derrière les feuillages et bientôt les ombres de la nuit lui offriraient un manteau plus sûr encore.
La jeune femme continuait de prendre soin de lui et le visitait presque tous les soirs. Elle n'avait plus reparlé de la mort du garde, et, heureusement, elle ne semblait pas lui en tenir rancune. En vérité, Corso n'avait plus besoin d'être dorloté, il se sentait assez fort pour... pour quoi au fond ? Pour fuir ? Pour mener une vie de paria parmi les parias ? Il se sentait bien auprès de Mira et Rosie, il n'avait aucune envie de partir. Vivre dans un trou sous la grange n'était pas si mal lorsque le soir était illuminé de leurs sourires.
Toutefois, il lui fallait songer à l'avenir. Il ne pouvait rester ici éternellement. Sa raison lui disait qu'il n'avait déjà que trop tardé. Les sbires de Salazar finiraient bien par le retrouver, si les propriétaires de l'auberge ne le repéraient pas d'abord et ne décidaient pas de se débarrasser de lui. Mais un projet un peu fou avait peu à peu émergé dans son esprit, le poussant à échafauder des plans plus invraisemblables les uns que les autres. Il désirait sortir Mira et sa fille de cette vie misérable, il désirait les soustraire au joug de l'affreuse Maggie, leur offrir mieux... Quel idiot tu fais mon vieux Corso ! Une femme te sourit et te voilà tout remué comme un pauvre jeunot. Qu'as-tu donc à offrir ? Et comment faire sans les mettre en danger ? Il ne savait pas ce que Salazar avait au juste derrière la tête. Une seule chose était certaine : son trépas faisait partie de ses machinations. Et il avait probablement farci la tête d'Amadeus de mensonges à présent, si bien que toute la maisonnée devait désirer le voir mort.
Corso devait avant tout assurer sa propre survie, déjà suffisamment compromise, avant de songer à autre chose. Mais voilà si longtemps qu'il n'avait ressenti cela, ni reçu la moindre marque d'affection. Chacune des attentions de la jeune femme lui était un baume. Il se rendait compte à présent que ça lui avait manqué, qu'il aspirait à l'amitié, à la tendresse. Son monde en était tellement exempt. Et finalement, il avait beau raisonner, se persuader, retourner la situation dans tous les sens, il ne pouvait empêcher Mira et sa fille d'investir ses pensées. Lui qui était incapable d'enfanter et qui en avait toujours conçu autant de frustration que de honte. Il désirait les intégrer à sa vie et intégrer la leur. C'était devenu une obsession.
Devant lui, le camp s'installait dans le jour déclinant, il distinguait enfin des signes d'organisation : la pâture d'un côté, les alignements de tentes à soldats dominés par les pavillons des officiers, les chariots rangés autour comme autant de postes de garde, le tout empenné ici du cygne blanc, là de la licorne d'argent, mais l'aigle doré du roi dominait nettement. Et bientôt l'air embauma la viande grillée sur les feux de camp.
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L'empire de la nuit
Fantasia#Lauréat des Wattys 2016 dans la catégorie "Coup de cœur du QG"# La paix dure depuis vingt ans ou peu s'en faut. Les rois et les seigneurs comme le petit peuple se souviennent de la terrible guerre du Roi-Loup, des batailles qui résonnent encore d'é...