L'écurie était plongée dans les ténèbres. La puissante odeur des chevaux, les bruits ténus de leurs mouvements, ici le choc mat d'un sabot sur le plancher, là un ébrouement, conféraient aux lieux une atmosphère calme et apaisante. Cette pénombre convenait mieux à Alessandro que le soleil radieux qui inondait la cour. À présent qu'il avait retrouvé un visage harmonieux, sans contusions, il n'avait aucune envie de brûler.
Le pas silencieux, il s'avança entre les stalles et perçut un frémissement, léger, qui provenait du fond : des voix murmurantes. C'est bien ce qu'il me semblait. Le magister sourit. Il ne s'était pas trompé. Peu après le départ du prince Aymerad pour Archenval et sa quête des meilleures tavernes en compagnie des seigneurs Loredall et Malvaux, l'officier intendant s'était à son tour faufilé dans les écuries désertées, avec à sa suite quelques-uns de ses « disciples ».
Aucun doute, le frère Ovatt représentait une précieuse mine d'informations, Alessandro n'avait pas été long à s'en aviser. Lors de sa première visite, déjà, le nosferatu avait compris les intentions du Cénacle de faire main basse sur la Confrérie, au point que l'Ordre entier était larvé d'espions et d'agents fidèles au Saint Siège. Il avait également appris que le grand maître, sans oser s'opposer absolument au pouvoir d'Eterna, renonçait à s'incliner et même, trempait dans d'obscures machinations. Le père Ambrose avait en effet reçu une visite étrange et secrète, quelques mois plus tôt. Et, bien que le faux magister ne sût pas encore quoi faire au juste de ces renseignements, son maître lui avait bien enseigné qu'il n'était jamais vain de détenir des connaissances, surtout si elles relevaient du secret. « Moins les détenteurs d'une information sont nombreux, plus grande est sa valeur », avait-il coutume de dire.
Il s'approcha des voix, mais resta à une distance prudente et, une fois à portée d'ouïe, entra dans une stalle vide. Une voix bourrue chuchotait, pas celle de l'obséquieux officier. « ... n'en sait pas plus qu'avant, donc ?
-Tu n'as donc rien écouté ? s'emporta Ovatt. Les agents de l'ecclésiarque n'ont peut-être pas réussi à les coincer, mais nous savons où ils sont passés. Et ils ont laissé derrière eux une auberge en ruines remplie de cadavres.
-Ouais, ou sont morts avec, quoi. »
L'officier intendant renifla. « Si ça se trouve, ils ont eux-mêmes bouté le feu à l'auberge. Peut-être pour se débarrasser de témoins gênants.
-Frère Artemus, tuer des innocents ? Crois pas, non.
-Mmh, tu as probablement raison. Ce vieil idiot préférerait sans doute courir à sa perte que de voir brûler des innocents. Mais c'est un coriace, rien ne dit qu'il est mort. Cet incendie n'est qu'une preuve de plus de ses activités malhonnêtes. Et cette femme... d'après les descriptions, monseigneur pense qu'il peut s'agir d'une Rose de Fer ! Vous imaginez ?
-Vous pensez que c'tait elle, cachée chez Ambrose ? L'aurait quand même pas amenée ici, non ?
-Peut-être, peut-être pas. Mais elle pourrait bien être la preuve qu'attendait le Cénacle pour pouvoir agir. » Ovatt ricana. « Et du jour où j'hériterai du titre de grand maître, les choses changeront, croyez-moi. Vous serez tous récompensés, mes braves. Enfin voilà, les nouvelles sont encore chiches pour l'heure, mais notre puissant ami ouvre l'œil. »
Les conspirateurs échangèrent encore quelques propos réjouis, puis se dispersèrent. Sans émettre un son, Alessandro se replia un peu plus dans les ombres et les regarda passer. L'officier intendant fut le dernier à quitter les lieux et, lorsque sa large silhouette se présenta, le nosferatu se glissa à sa suite. Juste sur ses talons. « Bonjour, officier. »
Ovatt fit un bond et se retourna, haletant, la main sur la poitrine. « Dieu tout puissant, c'est vous ? Vous m'avez fait une de ces frayeurs. Que faites-vous ici ?
VOUS LISEZ
L'empire de la nuit
Fantasy#Lauréat des Wattys 2016 dans la catégorie "Coup de cœur du QG"# La paix dure depuis vingt ans ou peu s'en faut. Les rois et les seigneurs comme le petit peuple se souviennent de la terrible guerre du Roi-Loup, des batailles qui résonnent encore d'é...