L'homme au chapeau

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J'avais 6 ou 7 ans. Nous habitions dans une petite maison dans un lotissement de la ville de Vierzon. Je ne me souviens plus très bien de la couleur des murs, ni même des meubles, et encore moins du visage de mes voisins. Mais je me rappelle très bien d'elle. De cette personne qui hantait mes nuits et mes rêves lorsque j'étais enfant.

Il m'a fallu du temps avant d'arrêter de faire pipi au lit. Ça, c'était de sa faute. Mais mes parents ne le savaient pas ou ne voulaient pas le savoir. Ils me demandaient d'être propre, d'aller au toilette lorsque j'en avais envie et ce, même la nuit. Mais la nuit, c'était effrayant ! Cet individu pouvait certainement m'attraper et me tuer ? Que sais-je ?

Cet homme - car il me semble que s'en est un - je ne l'ai rencontré qu'une seule fois. Et pourtant, dès que je rentrais dans ma maison, il obsédait mes pensées, plus vigoureusement encore à mesure que la nuit tombait. Etrangement, je suis le seul de ma famille à l'avoir vu.

Près de la porte d'entrée, il y avait une double porte-fenêtre. Grande. Immense du point de vue du petit être que j'étais. Je me souviens des rideaux blancs. Je me souviens lorsque ma mère ouvrait ces fenêtres pour aérer notre maison. C'est précisément à cet endroit que je le vis pour la première fois, un homme en noir coiffé d'un chapeau à larges bords. Du couloir qui menait de ma chambre vers cette double porte-fenêtre, je le vis. Statique. Effrayant. Seul. Il me serait impossible de décrire son visage, il semblait en être dépourvu ; ni moins encore ses vêtements. Je ne vis qu'une silhouette noire, complètement opaque et lisse. Je l'ai longuement observé. Je n'ai pas eu peur. C'est comme s'il avait toujours vécu avec nous. C'est après. En y réfléchissant. Je me suis dit que ce monsieur pouvait me faire du mal lorsque mes parents dorment profondément. Ainsi, l'homme au chapeau devint une hantise. Ma hantise.

Je détestais me réveiller en pleine nuit. Plongé dans son obscurité, j'entendais des bruits de toute part. Le réfrigérateur bourdonnait. Des choses claquaient par moment dans le salon. Il m'est arrivé d'entendre des bruits de pas aller et venir. J'avais très peur que l'homme en noir se décide à me rendre visite. Dans mon esprit, le spectre veillait près de la porte d'entrée. Mais je n'étais pas dupe, il pouvait se déplacer dans toute la maison comme bon lui semble.

La porte de ma chambre restait ouverte la nuit. Les toilettes se trouvaient à quelques pas, juste en face de mon lit. Entre moi et elles, un couloir nous séparait. La nuit tombée, ma vessie pleine, je scrutais devant moi l'entrée des toilettes. Longtemps... et pétrifié. A cette époque, j'étais vaincu par mes peurs. De l'ombre, pouvait surgir cet homme.

Je ne prenais pas de risques inutiles. Honteux, je dormais trempé par mon urine. Quand je sentais qu'il me fallait déféquer, j'attendais de savoir si je pouvais me retenir jusqu'au matin. Dès lors que je ne pouvais plus attendre, je bondissais de mon lit à toute vitesse en direction des toilettes en regardant fixement devant moi, en ouvrait et refermait la porte tout en n'oubliant pas de la verrouiller. Fini, je retrouvais mon lit avec entrain, me recouvrant entièrement de la couverture. Cette nappe pulpeuse et douce me servait de bouclier physique et psychologique.

J'en avais marre de mouiller mon lit. Ça agaçait ma maman. Du coup, je récupérais avant d'aller me coucher une grande quantité de papiers toilettes que je mettais dans ma culotte. Ça absorbait bien. Je m'arrangeai pour pisser près d'un des bords de mon lit. Et le peu de pipi qui coulait sur mon drap séchait pendant la nuit. A cet âge, je n'avais pas encore fais la relation entre boire et faire pipi. Donc, jamais je n'ai pensé à ne pas boire avant le dodo.

Plus tard, et à force de me faire rouspéter par mes parents, je me surpris à accumuler assez de courage pour faire mes besoins en évitant de laisser à la peur assez de temps pour m'envahir. A toute hâte. Sans se retourner. En espérant ne jamais croiser l'homme au chapeau.

Aujourd'hui, je ne saurais dire si ce que j'ai vu étais le fruit de mon imagination, un songe, ou la réminiscence d'un de ces films de séries B qui passaient à la TV et qui empoisonnaient ma tête d'images sombres, sordides, rouges et noires. Néanmoins, je suis tombé à plusieurs reprises sur des témoignages faisant état de cet homme au chapeau, une ombre de forme humaine, observant dans les coins sombres de nos maisons.

Peut-être est-il encore là, le soir, quand je dors...

La Part des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant