Cauque-Mar

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Je venais d'avoir mon BEPC et les vacances avaient défilé à une vitesse fulgurante. En cause, nous avions aménagé dans un nouveau patelin, perdu dans la campagne. Heureusement, je ne me séparai pas de mes amis, sinon d'une quinzaine de kilomètres supplémentaires. Ma nouvelle baraque ne m'emballait pas vraiment, mais mon père soutenait que nous pouvions en faire un bon cocon. De mon côté, je pensai que d'ici trois années, je m'en irais à l'Université m'envoler de mes propres ailes. Je préfère les grandes villes. Les filles y sont davantage plus accessibles, c'était du moins l'un de mes nombreux préjugés de l'époque.

Les études arrivaient donc prestement me saouler et me gaver de connaissances inutiles. J'entrai au lycée, dans une section science économique et sociale. Après le collège, je n'avais vraiment plus envie de travailler. De fait, je me suis mis à éviter les cours. J'y assistai de corps, mais pas d'esprit. Je rêvassai continuellement sans me soucier que cela me porterait tôt ou tard préjudice.

Une autre conséquence de ma nouvelle situation géographique, je devais me réveiller plus tôt pour me rendre en cours et rentrais en corollaire plus tard chez moi le soir. La nuit, je détestai me coucher tôt et à heure fixe. Je m'intéressais aux émissions de télévision nocturnes, ou bien prenais le temps pour faire mes leçons car je réservais mes heures de permanences scolaires au jeu d'échec. Ma grande passion. Peut-on être cancre et passionné d'échec ? J'en suis la preuve vivante !

Je vécus une vie déréglée pendant un ou deux mois. Mon aspect physique s'était modifié, devenant plus pâle et amaigris. Mes yeux cernaient et ma pilosité se développait à vu d'oeil. Mes propres camarades ne me reconnaissaient plus. Je répugnais les demoiselles. Le matin, vaseux comme après une bonne cuite, mon regard vacillait et mes pas lourds me faisaient déambuler jusqu'à presque trébucher à terre d'épuisement. J'étais si lamentable que mes professeurs ne tardèrent pas à soupçonner que j'étais maltraité. Une déduction plutôt hilarante qui m'a été profitable. J'avais le droit à un traitement de faveur.

Un soir, un étrange phénomène se produisit : il devait être deux heures et demie du matin. Je m'étais éternisé à visionner un reportage télévisé sur le trafic de drogue en Colombie. Je me rappelle m'être demandé si je ne devais pas poursuivre mon existence dans ce pays. C'était le noir complet. Je m'allongeai dans mon lit et me couvris d'une couverture. Mes yeux restaient ouverts, rivés vers le plafond. Quelques souffles de respirations et je sentis comme une oppression. Une oppression intérieure. Des voix résonnèrent de plus en plus fortement dans ma tête. Je n'y pris pas une grande attention dans les premières secondes. Mais ces voix étrangères à ma connaissance, et particulièrement rauques, devinrent agressives et blessantes. Elles m'injuriaient dans un capharnaüm étouffant. Imaginez cela comme être au milieu d'une arène emplit de spectateurs qui vous huent sans relâche. Le volume sonore augmentait tandis que je me paralysais progressivement. J'étais atteint d'une angoissante torpeur. Impossible de se mouvoir. Mon cœur se mit à battre à un rythme déchaîné. Je stressai. Pour être concret, je me voyais mourir. C'est une sensation épouvantable. Et puis, soudainement, le volume sonore des voix diminua graduellement autant que... autant que mon élévation dans les airs ! Je vis tout autour de moi les murs descendrent. En réalité, je montai. Mon esprit flotta littéralement au-dessus de mon corps. Cette ascension devint au fur et à mesure davantage véloce. Je touchai bientôt le plafond. Cependant, la perte de contrôle de mon corps matériel conjuguée à une peur envahissante me fit résister. Je me débattis afin de me réincorporer. Après bien des efforts, je bougeai un doigt, puis une main, et ainsi de suite jusqu'à retrouver toutes mes facultés corporelles. Jamais je n'avais ressenti cela auparavant.

Je me mis immédiatement à me poser tout un tas de questions sur cette très effrayante expérience. J'avais eu cette singulière impression que l'on avait essayé de me voler mon enveloppe charnelle en expulsant mon esprit.

La Part des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant