Blanche

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- Avem Candidus, épela Héléna à voix haute. "L'oiseau blanc", finit-elle par se dire à elle-même.

- Appellation enregistrée, indiqua l'ordinateur.

- "Blanche", ça sera ton petit nom. C'est tellement plus sympathique qu'une dénomination latine et ça te rend tellement plus jolie et mystérieuse... murmura-t-elle, les yeux vissés sur la jeune pousse. Puis elle ajouta :

- Poursuis avec l'analyse biométrique, j'ai besoin d'un descriptif complet du sujet.

Le scanner s'exécuta, insérant automatiquement les derniers éléments à la fiche technique, au fur et à mesure que les petits rayons bleutés parcouraient la plante.

- Scanner terminé.

Elle relut le descriptif en prenant soin de vérifier toutes les composantes découvertes depuis ces derniers jours. Mais plusieurs incohérences dans le formulaire subsistaient avant de pouvoir l'ajouter à l'encyclopédie universelle.

- Pourquoi l'origine est-elle mentionnée comme étant inconnue ?

- Paroi cellulaire absente. La photosynthèse est inexistante. Le sujet absorbe les champs magnétiques environnants. Les caractéristiques sont insuffisantes pour un référencement dans les catégories faune ou flore.

Elle fit pivoter son siège légèrement en direction du végétal, le fixa longuement comme s'il allait soudainement se mettre à parler. Les deux pétales en forme d'ailes d'un blanc éclatant en surplombaient deux autres, plus petites et pointant vers le bas. Sous sa bulle hermétique, la plante, qui n'en était pas vraiment une, aiguisait sa curiosité.

- Bien... dit-elle en replaçant ses lunettes du bout de l'index. Nous verrons demain ce que donneront les tests avancés.

Elle se leva et se dirigea vers le fond du laboratoire où plusieurs boîtes contenant des rats étaient empilées les unes sur les autres. Elle saisit d'un geste assuré la numéro vingt-trois où logeait l'un d'eux, le duvet grisonnant, dont l'oreille était marquée d'une petite tache brune sur la pointe. Puis elle la déposa soigneusement à côté de la cloche de mise sous quarantaine.

Ses collègues scientifiques lui avaient ramené le spécimen florale directement à son officine au terme de leur première mission. L'échec de celle-ci engendra leur rappel, qui avait été décrété par la station orbitale. Elle adorait les fleurs et ses amis avaient souhaité marquer l'événement. La scène avait été burlesque : l'un d'entre eux avait lâché railleusement un "Bon départ en retraite !" dans l'hilarité générale, pendant qu'un autre mimait une posture de vieillard tenant une canne. Elle avait partagé beaucoup de moments avec eux durant ces longs mois de travail. Les conditions avaient été rudes, des liens forts s'étaient naturellement créés.

Ils partirent tous vers une heure du matin. Cela ne signifiait pas grand-chose ici où le jour polaire laissait le soleil inonder le site de leur installation. Ils n'étaient restés que quelques minutes pour lui dire au revoir. Elle, restée sur place, n'en avait pas encore fini dans cet enfer. Tout le monde le savait et n'avait pas souhaité lui infliger davantage d'émotions. Un petit discours d'encouragement avait été prononcé en hommage au travail accompli ensemble, et au sien qu'elle commencerait bientôt. Le petit groupe s'était dirigé ensuite vers les vestiaires et le quai d'embarquement.

***

Un peu plus loin, dans l'obscurité de sa cage, le petit rongeur tournait en rond, décrivant de larges ellipses malgré l'espace restreint dont il disposait. Ses congénères ne prêtaient guère attention à lui, pourtant vingt-trois ne cessait de continuer sa course, perpétuelle, marquant sa litière d'un cercle toujours plus net.

L'apogée d'un règneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant