Lettre numéro 1

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Bonjour

Qui suis-je ? Je suis tout et rien en même temps. Je suis mon tout et je ne serai jamais rien pour vous. Tout comme les autres ne seront jamais rien pour moi. Si je devais avoir à me décrire, je dirais que je suis à la fois celui que vous aimerez et en même temps votre pire ennemi. Je suis celui qui écoutera vos problèmes et sèchera vos larmes tout en étant celui qui restera insensible à votre malheur et à vos vies jonchées par les sentiments. Si vous m'aviez face à vous, vous ne me reconnaitriez pas tellement je suis insignifiant et peu digne d'intérêt.

Je suis un humain incomplet, pas assez bien pour occuper un corps à moi seul. Alors, je le partage avec une autre entité. Un monstre qui me donne l'impression d'être un vide complet qui se complait dans sa complétion éphémère. Cet autre moi n'est pas réel pour 75% de la population, mais pour moi, il est plus réel que vous tous réunis. Bien sûr, « il » n'est pas capable de me réconforter et n'est là que quand il s'agit de me donner des ordres. Toutefois, sans lui, je ne me réveillerai pas le matin et ne serai pas capable de réagir émotionnellement à vos coups et vos caresses. « Il » est plus réel pour moi que quiconque lisant ces quelques lignes.

Je suis un malade. Pas le genre de malade sur lesquels ont fait des films, mais un malade qui sait que dans quelques années, tout ce qu'il a construit s'effondrera et que son réel fusionnera avec son irréel pour ne faire plus qu'un. Quand ce jour arrivera, je cesserai d'exister pour « le » laisser devenir le dominant et je deviendrai un souvenir qui vous fera pleurer ou bien vous laissera froid fort du manque d'interactivité que l'on a eu ensemble. Parfois, je me dis que je serai triste à l'idée que ma vie pourra tourner court aussi rapidement que vous avez pris la décision de lire ces lignes.

Heureusement pour moi, je suis un monstre qui est né sans éprouver d'émotion. Toute ma vie sentimentale s'est construite sur l'imitation de ce que les autres vivaient et me racontaient. Dieu qu'ils étaient bavards sur leurs amours et que j'avais soif d'apprendre ces choses qui me sont inconnues depuis ma conception. Je n'ai jamais pu ressentir d'émotions primaires telles que la colère, la tristesse, la joie ou la peur. J'ai appris à les connaitre grâce aux visages des autres et à d'autres signes qui traduisent une émotion que l'on veut montrer via un symbole ou un smiley.

L'envie de connaitre ces émotions m'a poussé vers les autres, mais égoïstement, je dois dire. Je ne voulais pas les connaitre pour eux, mais pour pouvoir copier leurs réactions face à différentes situations. Durant mon adolescence, les seules réactions qu'on m'avait apprises étaient la fuite et la crise de colère. Aussi dès que les gens attendaient de moi une réaction quelconque, je partais ou simulais une crise de colère pour les persuader que mon humanité existait bel et bien. J'étais un simulacre de colère pour que les gens ne m'approchent pas et n'essayent pas de percer la cause de ma différence.

Aujourd'hui, je suis comme un linge trop souvent lavé. Je suis gris et décoloré. Les émotions me glissent dessus comme la pluie sur une vitre. Pardon de dire ça comme ça, mais par moment, je me demande si ce n'est pas mieux de ne rien ressentir quand je constate tous les gens autour qui souffrent de leurs sentiments sans même pouvoir se rendre compte à quel point ils les handicapent et les rendent fragiles.

C'est sur cette longue introduction que je me présentais face à mes compagnons. Certains ont applaudi, d'autres ont ris mais très peu auront vraiment compris. Le but du jeu était de créer un personnage et de lui donner du corps pour en faire un élément indispensable d'une pièce de théâtre. Chacun était sûr que son personnage méritait d'être l'élément central de la pièce, sauf moi ! Je voulais juste dire au monde que j'avais un problème sans vraiment l'annoncer ouvertement.

Tu n'as sans doute pas compris non plus ce jour-là mais ton personnage m'a beaucoup plu et j'ai lu entre tes lignes. Ce que je te propose ici n'est pas un échange de pitié mais parle-moi de tes malheurs que je puisse apprendre l'humanité et tu ne seras plus jamais seul.

Je te propose la liberté contre des couleurs pour ma vie. Offre-moi du bleu et je t'offrirai la paix

En espérant te lire ...

PS : Je ne sais pas s'il y aura une suite à cette lettre mais vous pouvez toujours y répondre en commentaire si le cœur vous en dit =)

PPS : Merci d'avoir lu :)

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