Partie 1: Réveil

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  Un silence total écrasait la forêt. Un souffle glacé longeait les chênes et leur feuillage. Le murmure des ténèbres se faufilait dans la brise, chassant le chaleur et la dernière braise du feu de camps.

  Elisabeth ouvrit soudain les yeux. Son coeur battait lentement, mais avec force. Un ciel gris couvrait le bois, un vent sourd lui claquait au visage. Allongée sur le dos elle plongea la main dans la terre pour en sentir ses tremblements, mais rien ne bougeait, le sol était imperturbable, immobile. Aucun pas ne semblait troublé sa tranquillité. Elle ralentit sa respiration, écouta encore pour déceler un son, n'importe quoi. Mais rien...

  Quelque chose d'inquiétant la submergea. Ce n'était pas normal.

  Elle s'assit d'un coup sur son couchage. Le camps était désert, ses frères n'était pas là. Aucune trace des trois garçons...

  Elisabeth se mit alors debout, plia son couchage et prit nerveusement son sac. Elle enfila ses vieux souliers, et en deux minutes chrono elle fut partie, pressant le pas à travers la forêt. Elle avait la gorge nouée, rien n'était pire que de se retrouver seule dans ce monde, surtout pour une femme. Le danger. Le danger règnait comme nul part ailleurs. Ce n'était plus ce monde des bouteilles en plastique, plus ce monde tout rose où nageait la sécurité et la bienveillance. Ici, il y avait la mort qui courait après les âmes perdues, les fous et les clans dont chaque errant devenait l'esclave, et cet univers assoiffé de sang qui cueillait les êtres pour ses dieux impitoyables.

  Elle était seule, se dit-elle alors. Non! impossible... Ses frères était sûrement quelque part.

  C'était impensable! La veille elle s'était endormie en attendant ses aînés partis en mission de ravitaillement, et là... Nom de Dieu, elle s'était endormie! Mais quelle sote! Bon sang quelle bonne à rien! Elle devait les attendre et prévenir leur oncle si ils ne revenaient pas. Mais elle s'était endormie...

  Son coeur se serra de peur.

  Elle accéléra le pas. Plus vite elle aurait mis au courant son oncle, plus vite cette histoire serait réglée.

  Alors qu'elle arrivait à la hutte familiale, des voix étrangères retentirent. Elisabeth stoppa net. Son corps se paralysa. Les voix glapirent encore dans le silence matinal.

  Mais que ce passait-il? Il lui était alors impossible d'admettre ce qui arrivait: un autre clan était chez elle, dans son chez soi. Quelqu'un occupait son foyer... Comment l'expliquer autrement? Elle vivait uniquement avec ses frères et son oncle Fred, depuis toujours. Ils étaient une des seules fermes indépendantes de la région. Personne ne leur avait jamais rendu visite, et cela ne devait pas arriver. Leur oncle ne voulait pas de visiteurs, sous aucun prétexte. Les voix s'agitèrent à l'intérieur de la hutte de peaux. Elles semblaient festoyer à une gloire sanguinolente, à une chose démoniaque qu'elle ne savait nommer...

  Elisabeth se mit alors à reculer, lentement, sans faire de bruit. Des larmes lui emplirent les yeux, elle ne pouvait pas y croire...

  Comment cela avait-t-il pu arriver? Était-ce de sa faute? Et si elle était restée éveillée, cela aurait-il changé quelque-chose?
Son premier reflex fut de se cacher, elle grimpa au chêne le plus proche. Elle s'accrocha aux première branches, s'appuya d'un pied sur les suivantes et monta le plus haut possible. L'écorce vulgaire de l'arbre lui écorcha les avants bras jusqu'au sang. Elle serra la mâchoire, le souffle rapide. Elle avait appris à grimper avec son frère Nathan, le plus jeune; il lui avait aussi appris à courir vite, à nager et à survivre en cas de saisons froide. C'était un garçon intelligent avec un grand courage...

  Tout en haut, une vue globale sur le désastre lui fendit alors l'âme: le potager était dévasté, le chien était mort, empalé sur un pieux de clôture,  les boyaux étalés dans l'herbe; du sang jonchait tout le sol jusqu'à la hutte où festoiyaient inlassablement les voix des occupants. Elle aperçut même un des souliers de son oncle. Le noeud du sanglot lui arracha la gorge. Tout était détruit ou empilé dans des paniers accrochés à des chevaux qui n'étaient pas les siens. On avait pillé sa ferme, tué son oncle, éventré son chien...

  Soudain une femme sortit de l'habitation. Elisabeth se serra un peu plus contre le tronc pour ne pas être vue. Elle observa avec rage, la jeune femme à moitié ivre qui se promènait sur le terrain, en traînant les pieds dans le sang et la poussière. Elle était brune, coiffée de deux macarons mal peignés, dont la forme se distinguait grossièrement derrière des mèches rebelles. Sa féminité rustique était soulignée par une robe fendue sur un pantalon serré, et par une poitrine volumineuse rehaussée d'un corset de cuir. Elle n'était pas laide, mais son air satisfait et serein donnait à Elisabeth l'envie de vomir. C'était une des femmes type qu'on trouvait dans les clans du sud: toujours inélégantes, un peu trop sexy et qui magnaient l'arme à feu mieux que personne.

  C'est alors qu'une autre personne sortit de la hutte, un homme, une gourde d'alcool à la main.

- Un peu trop bu chérie? lança l'arrivant à la jeune femme.

  Celle-ci se mit à ricaner gorge ouverte avec une vulgarité répugnante.

- Un tout petit peu trop! Ça se voit tant que ça?

  L'homme était grand, portait la barbe et des cheveux mi-long collés en queue-de-cheval malpropre. Il était carré, grossier en apparence...

- Oh non pas du tout ma puce, t'es toujours aussi chaude, y a pas de doutes!

- Ah vraiment? Chaude tu dis?

  Elle s'avança vers l'homme d'un air coquin. Il la prit par la taille d'une main et la colla contre lui, un sourire pervers sur les lèvres.

- Ouais! Une vraie chaudasse...

  Elle rit. Il grogna ivrement de son désir masculin. La femme se grandit et vint chercher les lèvres du prédateur qui la croqua à pleine dent. Éperdus d'ardeur les deux êtres s'embrassèrent et reculèrent vers la forêt, vers le chêne.

  Elisabeth gloussa en voyant les amants s'adosser au tronc, juste au dessous d'elle. L'homme plongea sa main sous la jupe fendue de sa compagne, la souleva et la pénétra soudain. Elle poussa un petit gémissement, l'homme continua, s'exécutant dans la jeune femme avec une fougue bestiale. Celle-ci leva la tête, la bouche entrouverte, laissant échapper des cris de contentement de plus en plus forts. Mais alors qu'elle regardait le ciel, son regard croisa celui d'Élisabeth et son visage se déforma. Elle ne réagit pas pendant quelques secondes. Les deux jeunes femmes se regardaient simplement les yeux dans les yeux, sans rien dire. Elisabeth était paralysée, c'en était bientôt fini pour elle!

  La femme stoppa son compagnon qui grogna d'insatisfaction.

- Putain! Qu'est ce qu'il y a? gronda le mâle encore collé à elle.

- Marco, il y a quelqu'un dans l'arbre...

  L'homme leva alors la tête, les sourcils foncé. Quand il vit les yeux terrorisés d'Élisabeth, un sourire démoniaque lui écrasa le visage. Il se recula et lança:

- Il est sympa cet écureuil!

Abandon Humaine (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant