Partie 3: Les Ours

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  Les poignets d'Elisabeth étaient liés par une corde, accrochée à l'un des chevaux de la troupe. Elle suivait ses ravisseurs depuis des heures, regardant uniquement le sol, sans rien dire.

  Les mains attachées, les vêtements déchirée, encrassée de la tête aux pieds; une plaie béante sur l'avant bras, la force absente, les yeux asséchés par des larmes qui ne pouvaient plus tomber, Elisabeth se sentait lamentable, une impression de honte et de disgrâce. Elle ne devait pas être belle à voire. Elle était une guenille à elle seule. Jamais sa peau n'avait été aussi meurtrie, jamais son corps n'avait été dans un tel état!

  Ses chaussures avaient rendu l'âme, son corps était couvert de sang et de poussière, ses cils étaient collés de larmes asséchées...

  Son oncle lui disait souvent qu'elle était forte et courageuse pour une femme de ce monde, et à ce moment précis, elle se dit qu'il avait tort. Elle n'était pas forte, pas courageuse. Si elle l'avait été, elle serait libre, avec ses frères: elle aurait su se défendre. Au lieu de cela, elle était traînée, les mains attachées à un cheval, les pieds ensanglantés par une marche interminable. Elle n'était pas la figure même de la force. Des centaines de personnes auraient fait mieux qu'elle...

- On fait une pause, lança Madeley en guidant son cheval vers un coin d'herbe.

  Un soulagement immense parcouru Elisabeth. Une pause était bien méritée après toutes ces heures à traîner le pas dans la boue et les cailloux! Marco la poussa à terre, à côté du ruisseau au long duquel ils marchaient et lui conseilla d'en profiter.

  Elisabeth avait eu le temps d'enregistrer tous les noms durant la route. Il y avait Marco, Madeley, Karla, Paul, Eliot et Julius. Elle avait aussi eu le temps de les analyser un peu, comme le lui avait appris son plus grand frère. Elle savait que Madeley était une orpheline, que Marco et Julius étaient ses amants et que son goût prononcé pour le sexe était en réalité un manque affectif qu'elle essayait de combler. Elle avait également compris que Paul était le chef de troupe, et Karla sa conseillère. Karla était plus douce que les autres, mais également plus autoritaire. Elle était rousse, un peu masculine, mais avec toujours cette poitrine des femmes du sud qu'elle mettait en avant. Après il y avait Eliot, un peu mystérieux, très jeune et avec peu de caractère. Sans trop savoir pourquoi, Elisabeth ne lui donnait pas longtemps à vivre. Il courait très vite comme il l'avait déjà prouvé, mais il avait un air faiblard, niais... Il y avait des personnes comme cela, qui n'était naturellement pas faites pour ce monde!

  Elisabeth se traîna presque jusqu'à l'eau du ruisseau, les mains toujours attachées à la corde. Elle y plongea doucement ses doigts tremblants et en bu le précieux liquide. L'eau longea sa gorge, elle sentit le bien que cette fraîcheur apportait à son corps. Elle laissa l'élixir mouiller sont visage, mit même ses pieds ensanglantés dans le ruisseau pour en attenuer la douleur.
 
  Le sang encrassé se dilua dans le courant, si bien qu'Elisabeth pu apercevoir l'ampleur des dégâts. Son coeur se serra. Des coupures de tailles diverses longeait ses petits pieds blancs, logeant quelques cailloux dans les entailles au passage. Elle continua néanmoins à se débarbouiller, nettoyant la plaie sur son avant bras ainsi que les innombrables coupures sur ses jambes.

  Quelque chose en elle lui demandait de rester en vie, même si le contraire pouvait sembler plus sage: elle n'avait probablement plus de famille, était maltraitée et serait bientôt vendue à un certain Charles, mais non, un espoir qu'elle ne pouvait expliquer l'animait, et elle continuait à se battre pour la vie. Elle déchira alors deux longues bandes dans sa tunique blanche et se les enroula autour des pieds. Après avoir serré fermement d'un noeuds son dernier bandage elle entrepris de couper discrètement la corde qui lui liait les mains. Elle attrapa une pierre dans le ruisseau qui lui semblait tranchante et essaya tant bien que mal de se libérer. Elle frotta le cailloux contre ses liens...mais rien.

  Elle était épuisée, incapable de penser clairement, à tel point que quand elle réalisa que ses efforts étaient inutiles, sa gorge se serra, son nez piqua et elle se mit à pleurer. Elle gloussa dans d'horribles sanglots qui lui arrachaient la gorge. D'un coup, le visage enragé, Julius arriva et lui flanqua un grand coup de pied dans la hanche.

- Ferme la! Putain, elle peut pas rester calme cette chieuse? T'aurai du la buter Eliot, en plus t'en tireras rien! C'est toujours une mauvaise idée de garder des prisonniers, t'apprendras ça avec le temps. Ça fait que causer des problèmes...

  Elle gémit et inspira profondément, les yeux fermés. Alors qu'un nouveau flot de douleur lui enflammait le corps, une dernière larme lui dévala sur le nez. Ses entrailles étaient emmêlées par une peur et une colère indescriptible qui lui paralysaient l'âme.

  Après quelques minutes face-contre-terre, Elisabeth se redressa, rangea machinalement ses mèches rebelles derrière les oreilles et adopta une posture bien droite, le dos raide, le visage imperturbable.

  Elle observa ses ravisseurs. Ils n'étaient pas bien impressionnants quand on retirait leur vêtements de cuir, leur cicatrices et leurs armes accrochées à la ceinture. Encore fallait-il les retirer...

*

  La marche continua après une heure de repos. Marcos leva Elisabeth par les dessous de bras et la poussa en avant pour lui redonner le rythme de la marche.

- Allez Bondine! En avant!

  Malgré ses efforts à rester muette, elle gémit en faisant ses premières pas; c'était comme si des milliards d'épines lui rentraient dans les pieds. Sa poitrine s'alourdit de douleur mais elle serra les dents et suivie le cheval auquel elle était accrochée. Elle n'avait pas le choix de toute façon. La seule chose qu'elle pouvait faire était de se plier à la volonté du groupe. C'était une des règles de conduite entre les différents clans: les prisonniers n'avaient pas leur mot à dire.

  De longues heures passèrent ainsi, Elisabeth ne sentait plus son corps, elle était courbée, les bandages autour de ses pieds avaient pris des couleurs rougeâtres. Elle était à bout de forces. Il faisait nuit maintenant, mais les lumières du camps se rapprochaient. Il y avait un très grand nombre de huttes et de feu sur la place occupée. Un lieu peu boisé, très plat. Il devait s'agir du clan des Ours, un des clans du sud le plus connu, pour sa richesse et ses femmes fécondes. L'oncle d'Elisabeth en parlait souvent, il les redoudait car leur spécialité était le pillage des petites fermes comme la leur. Il disait que les Ours avaient une tendance à torturer leurs victimes, ou à les réduire à l'esclavage. Il disait aussi que beaucoup d'Ours étaient des Dégénérés, les pires aberrations de la nature. Des monstres, pour être plus précis.

  Elisabeth regarda les étoiles de feu qui couvrait le paysage du camps. Un drapeau à peine visible confirma son hypothèse: un ours debout y était représenté, emblème du clan de ses ravisseurs. Sa gorge se serra: ce n'était pas bon signe!

Abandon Humaine (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant