Chapitre #4

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C'était un mercredi. La fraîcheur matinale rongeait la peau de ses proies. On entendait le ronflement des voitures sur le chemin du travail. Les gouttes tombaient d'un ciel terne et triste. Lordway était noyée dans une sale température. Trois degrés.
Les lycéens portaient tous un jeans, un sweet accompagné d'une doudoune. Dans leur tenue, dans la mienne y compris, tout devait être parfait. Ça l'était pour certains du moins...Pas pour moi.
La perfection ne m'est pas accordée. Jamais. Seules les plus douées, jolies et à la mode atteignent la perfection. Je ne suis pas elles et elles ne sont pas ce que je suis. Tessa Kayton est normale et c'est tout. Un simple coup de mascara sur mes cils, une tartinée de rouge à lèvre rose pastel sur mes lèvres et c'est tout. Suffisant, simple et efficace pour une journée comme la mienne.
Ce matin, Larry ne n'a pas cherché à me joindre. Il bosse tellement pour ses études qu'il ne laisse pas une place pour sa sœur. Quelle gentillesse. Je le comprends. Le travail dévore tout son temps libre. Larry veut devenir pilote. Les études sont longues.

Les cours se déroulent dans le brouhaha des autres durant le reste de la matinée. Personne n'écoute les professeurs. Chacun parle, rit, dessine et soupire. Moi, je rêvasse et je plane....
Mon père freine sans arrêt mes songes. Ses mots sont coupants,ils empoisonnent mon esprit. Ma mère n'est pas rentrée hier dans la soirée. Elle a sûrement passé sa nuit dans un hôtel. C'est son magasin qui la retient, la sépare souvent de la maison et lui prend son temps. Elle est fleuriste.
Mon père n'est qu'un scientifique à côté d'elle. Il est ingénieur financier et désire par dessus tout, me plonger dans la finance en utilisant le plongeoir de la science. HORS DE QUESTION. Je ne le suivrai jamais. Je ne suis pas venue au monde pour cela. Je me battrais pour mon rêve et plus tard, je deviendrais, ce que j'ai toujours rêvé de devenir: marin.
C'est mon futur, ma vie, mon unique désir et je ne le laisserai rien gâcher. Quand j'étais petite, je voyageais dans les pays du sud avec mes parents ainsi que mon frère. Nous étions tellement heureux. Le bateau nous amenait à destination. Il suivait ce chemin que lui avait ouvert l'océan. Je pouvais sentir les vagues se cogner et se chiffonner au dessous de mon petit corps. Quand une tempête freinait le bateau, l'eau sautait à bord pour nous lécher les pieds. Le chant de la mer s'était installé dans mes oreilles. C'est durant ces belles nuits de bateau, seule, perdue entre deux continents, au dessous des ailes et au dessus des flots que j'ai découvert mon avenir. C'était décidé et ça l'est toujours. Je voudrais devenir marin. Parcourir l'univers en franchissant les océans du monde ainsi qu'en surmontant les tempêtes les plus féroces. Vivre avec les vagues. Voilà ce qu'est mon désir. Danser comme elles dansent, combattre comme elles se déchaînent. Vivre dans l'action, survivre, se délaisser des hommes, se rebeller comme le vent qui frappe les flots lors des tempêtes. Sentir toute cette eau salée s'incruster dans mes narines.
La vie m'avait apporté mon ambition, mais elle était parsemée aussi d'obstacles. Chacun doit se battre pour parvenir à ses fins.

La sonnerie retentit. Les élèves sortent le sourire aux lèvres. C'est enfin l'après midi. Personne ne retourne en cours mis à part les sanctionnés. Pour une fois, je fais partie des "collés ". La déception ne m'envahit même pas. Je suis heureuse d'être comme récompensée pour mes rêves de classe. Mme Mack a eu juste et a fait juste. Je méritais cette sanction.
Les autres lycéens se dirigent vers le lourd portail tandis que je dis au revoir à Gwen.

-Ça va aller, ne t'en fais pas, ce n'est qu'une heure de sanction
-J'en ai obtenus durant toute ma vie de collégienne, alors ne viens pas pleurer demain! Lance t-elle avec son petit clin d'œil.

-Je ne m'en fais pas, je ne crains rien. Je ne méritais que cela, après tout.

Mes yeux dérivent vers le sol des halls qui se vident petit à petit.
Gwendolyn éclatent de rire en me tapotant l'épaule droite.

-Tu me fais pitié, Tessa!

-Tssss.. Je soupire en la regardant, si jolie, si éclatante et rassurante. Elle sait en mettre une dans les bons moment, comme dans les mauvais d'ailleurs. Aller, file !
Je la chasse en rigolant.
C'est aussi pour ces moments là que je vis. Puis, le sourire aux lèvres, j'attaque mon heure de colle.

•19:00•
Il fait déjà nuit lorsque je sors du lycée. Le froid attaque les hommes les incitant à entrer chez eux le plus rapidement possible.
Je suis restée longtemps dans ce lugubre bâtiment. Le directeur m'a gardée pour faire le ménage à sa place. Cela fait une semaine que la femme de ménage a démissionné, ce qui est compréhensif à la vue de l'établissement . En conséquence, le travail m'est tombé dans les mains.
Le ciel est sombre, terrifiant, presque noir en ce printemps. La neige n'a pas encore chuté du ciel. Les flocons ne se sont toujours pas battus contre le souffle du vent. La ville n'a pas été encore recouverte de blanc. Le temps ne s'est pas figé par la glace non plus.
Aucun bruit ne s'incruste dans mes oreilles dehors. Les rues sont vides et mortes. Personne ne viendra me chercher à cette heure ci. C'est à moi de marcher jusqu'à l'appartement, seule et dans le noir.
La lumière de la lune est cependant puissante dans l'atmosphère. Elle est magnifique.
Je marche au milieu des lampadaires. Les volets des différentes maisons sont clos à mes côtés.
Mes pas s'acheminent dans une rue sombre. C'est alors que je l'aperçois au loin, qui m'observe dans l'obscurité. Il s'agit d'un homme, grand et baraqué. Une magnifique veste noir couvre son corps ferme et puissant. Il demeure là, assis sur une voiture, sans se soucier du moindre ennui qui pourrait se dresser devant lui. Ses cheveux sont d'un brun plus foncé que la terre, mouillés par la pluie d'hiver et plus solides que le bois de forêt. Quelques mèches sont ébouriffées sur son crâne. Elles sont plus sauvages que l'indien qui frappe la bête au couteau. Il est seul,...nous sommes seuls dans ce quartier. Impossible de l'éviter, la maison est à l'autre extrémité. Il me regarde marcher ici. Mes jambes tremblent et mes mains se réfugient dans mon pull-over bleu marine. Ses yeux ont plongé dans les miens. Ils me donne la chair de poule. Lorsqu'il assassine mon regard, toute sensation fait surface. Le ciel n'est plus à ma portée, cet homme contrôle tout. Ses pieds sont inertes et semblent collés à Terre. Les miens cherchent à décoller, sans succès...
Je vois dans ses pupilles la dure réalité que le monde cherche à oublier. Jamais, je n'ai vu un homme si renversé, et qui paraît si détruit. Ses yeux tel un verre d'eau semblent remplis de larmes mais ils ne débordent pas. Aucune larme ne fait surface. Ce mystérieux garçon contient toute son émotion. La neutralité semble être sa meilleure amie. Mes rêves disparaissent tous à l'instant, se laissant noyer dans ses billes vertes.
Mes pas s'immobilisent sur le sol humide. Je ne bouge plus. Est-ce qu'il parvient à contrôler mon corps tout entier, mes différents mouvements et mon esprit en un unique regard ?
Ce dernier atterrit comme un coup de poignard sur ma peau blanche et gelée. Je me perds moi aussi dans sa réalité, soudainement. Serait-Il le corbeau de mon rêve, celui qui arrache ma chair jusqu'aux os?
Celui qui, accompagné de ses vilains compères, me pousse dans les vagues déchaînées?
J'ai peur...
Juste,...qu'attendent mes ailes imaginaires pour me plonger dans ma bulle de rêve?...
La peur m'incite à courir jusqu'à la maison, jusqu'à maman, jusqu'à papa. Je lui pardonne tout...
J'obéis à mes jambes et les prends à mon coup tant qu'il en est encore temps. Le regard de l'homme me suit dans l'obscurité. Mes yeux se ferment quand je passe devant son corps, devant sa présence, devant cette sombre réalité. Les abysses sont près de moi...
Je rêve de prendre l'avion imaginaire de mon frère, maintenant. Impossible...

•BOUMM•
Non...
Il fallait que cela se passe. Il fallait que rien ne marche.
Il fallait que le lampadaire soit devant moi....

~DIVING~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant