Chapitre #6

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Je cours au rythme des secondes qui passent. Je trébuche lorsque les souvenirs de mon père deviennent plus intenses dans mon esprit. Je m'arrête quand mes poumons ne supportent plus cet oxygène qui ne vient pas de mon monde hélas. Non. Cette source d'énergie vient du monde réel. Je ne peux que suffoquer, me forcer de cracher ou de vomir en pensant à cela. J'arrive à l'appartement qui est éclairé par les petites lumières qui jaillissent des lampadaires comme le chœur des églises de Lordway.

Les dents serrées, le poing enflé et les joues gonflées, j'ouvre la porte. Un grincement, un claquement, j'entre dans sa demeure, dans son cœur qui ne m'accepte déjà plus ici. Il m'a toujours gâté, toujours aidé, toujours caressé et toujours réconforté dans les durs instants de la vie, comme dans les merveilleux moments, vous savez, ceux qui sont aussi tendres et parfumés que les bonbons. Ses doux mots font échos dans mon crâne. Ils me manquent, au fond. Tout cet amour est parti.
Il n'a pas coulé dans les abysses, mais s'est enfuit comme un lâche. Papa n'existe plus aujourd'hui. Il m'a rejetée le jour où j'ai confirmé mon ambition, le jour où j'ai annoncé mon rêve. Ce rejet m'a fendu le cœur. Aucune lame aussi coupante que la sienne ne m'avait atteinte jusque là. J'avais beau lui crier ma volonté, hurler le rêve de ma vie, il ne l'acceptait pas. Aujourd'hui, je crache le venin dans sa figure et je pleure la disparition de son amour qui ne revient pas et qui n'arrive pas à remplacer la querelle qui s'est installée entre nous. Il me manque.
Je monte les escaliers à petits pas. Le temps s'envole avec le vent lorsque j'ouvre la porte de notre suite. Il est ici, allongé sur le canapé, au centre des chips qui sont étendus partout sur le carrelage. Pitoyable.
Ma mère est rentrée du travail. Je la vois allongée à ses côtés. Son parfum enivre l'appartement. Cette douce odeur des roses de jardin me chatouille les narines.
Seulement, elle n'est pas mon centre de vision. Je reste plantée devant la porte comme une fleur qui petit à petit se fane en observant cet homme inconnu qui dévore ces sales petites créatures; les chips.
Je ne prends pas plus de temps heureusement. La porte claque. Je m'échappe.
Je me libère de l'immeuble et cours jusqu'à ne plus sentir mes jambes, jusqu'à ne plus pouvoir respirer, jusqu'à m'écrouler dans l'oubli des abysses. Les larmes jaillissent de mes yeux irrités. Elles sont acides, salées et sucrées. Elles sont les trois à la fois. L'effort me brûle le corps mais je ne m'arrête pas pour autant. Jamais je ne m'était sentie si bouleversée, si sensible et seule, si colérique et anxieuse. Le chemin se raccourcit, le temps ralentit, mon esprit s'assombrit sous l'obscurité du ciel et de la luminosité des étoiles. Les étoiles ... Elles sont ces petites pépites en qui je peux encore croire et rêver.
Cours Tessa, cours. Ne fais plus attention aux autres. Concentres toi juste sur ta course, sur la vitesse de cette dernière, rien d'autre ne compte. Je tombe, me relève, trébuche sur les cailloux, puis, me rattrape pour éviter une nouvelle chute. Mes genoux laissent couler le sang et façonnent les bleues.
Je traverse la route de la banlieue de Lordway sans faire attention à la voiture qui a freiné pour ne pas m'écraser, sans écouter les cris de rage de l'homme qui la conduisait. Au fond, j'ai tout capté, mais je n'ai pas voulu y penser. Alors mon cerveau place ces informations dans la poubelle. Puis je poursuis mon chemin jusqu'à sentir mes jambes m'abandonner. Je ne tarde pas à m'écraser. Comme un verre , je me brise en plusieurs morceaux. Mes yeux se ferment ainsi, au milieu de la nuit, au centre d'une rue de Lordway, seule à terre. Et cette fois, je ne me relève pas.

* * *

Un nuage flotte dans le ciel parfumé de bonbons. Un bruit et il s'envole pour laisser place aux étoiles. Elles créent toutes sortes de formes, de dessins et de personnes. Elles inventent les histoires et mettent en place de nombreux scénarios pour nous plonger dans leurs bulles de rêve. Je les vois sautiller dans l'espace. Quant aux galaxies, elles m'ouvrent leurs portes, à moi, Tessa Kayton. Mon rêve pourrait-il se réaliser avec un peu d'espoir et de lumière? Ces portes emplies d'étoiles ne s'ouvrent pas pour n'importe qui. Elles ont acceptées d'ôter leurs verrous pour moi.
Quel bonheur de sentir un oxygène étoilé, de toucher les différentes planètes, d'écouter les murmures de la bise et de goûter le doux fruit qu'est le rêve.
J'envie les créatures qui vivent dans ce monde. Pourquoi? Parce que je ne lui appartiens pas . Je suis prisonnière de la réalité, du monde vrai. Celui qui accueille toutes sortes de violence. Je suis ce petit oiseau que l'on garde dans une cage pour lui ôter sa liberté. Libre. Voilà mon désir. Il y a deux options. Être libre dans le monde des abysses, et l'être dans mon monde à moi. Devinez quel est mon choix.
Je souris, puis, je tombe dans un trou noir couvert d'étoiles. Ces dernières, de pauvres petites lumières, se noient dans l'encre noir. Je coule une seconde fois dans les yeux noirs du corbeau.

* * *
J'ouvre mes yeux. Où suis-je?
Je regarde au dessus de moi, un plafond. Puis, je tourne ma tête pour observer ma droite et ma gauche. Je suis dans ma chambre. Pourquoi? Je me souviens vaguement de ce qui s'est passé. Je courrais, je suis tombée sur le macadam. Je sens encore le déchirement de ma peau sur les cailloux. Etait-ce un cauchemar ?
Je rejète violemment ma couverture et scrute ma jambe afin de me persuader que ces événements étaient bien réels et que le corbeau noir était bien là. Un pansement est accroché à ma peau encore rugueuse. C'était réel. Après ma chute, plus rien, le trou noir, juste le rêve de mon utopie. Je regarde à nouveau autour de moi puis, la question se pose ...enfin...
Qui m'a ramenée ici?

Trois messages. C'est ce qu'annonce mon téléphone lorsque je le déverrouille. Je les ouvre un par un.

Gwen❤️ : 7:45
Hey miss, n'oublies pas de ramener ma fiche de révision pour le contrôle d'histoire! ;)
_______________

Gwen❤️: 9:01
Tessa, pourquoi t'es pas en cours?
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Gwen❤️: 10:05
Ma fiche pour l'histoire Tessa, je suis une femme morte!!!

Je me demande bien qui est morte dans l'histoire. Elle, pour son contrôle d'histoire, ou moi, qui, dans un futur proche, serait sans doute foudroyée par ses éclairs !

Il est onze heures quand je m'interesse au temps. Il passe vite, beaucoup trop vite à mon goût.

Papa travaille et maman est à la cuisine. C'est son jour de congé, le jour où elle peut profiter de ses livres.

-Bonjour maman. Dis-je en entrant dans la cuisine, affamée.
Elle est ici, assise sur une chaise haute, face à quelques fruits qu'elle coupe pour en faire une salade sûrement. Je me précipite sur les céréales aux chocolats qui, comme d'habitude, se trouvent devant mes yeux. Ces derniers sont et seront toujours plus gros que mon ventre.

-Ne mange pas trop Tessa. ordonne ma mère en me regardant avec un sourire. Ce sourire est celui de l'espoir. Il m'apporte la joie de ne pas être seule dans le choix de ma destinée.
Tu n'iras pas en cours aujourd'hui. Après ce qui s'est passé hier soir, mieux vaut que tu te reposes. M'annonce t'elle.
Je la regarde un instant puis hoche la tête en lui rendant son sourire.

-Qui m'a ramenée ici hier soir? Dis-je alors afin de briser le silence d'une question importante.

Nous nous observons; mes yeux dans les siens, les siens dans les miens puis, plus rien. Le silence raisonne dans la pièce, mes céréales restent noyés un instant dans mon bol rose. Un sourire plus grand encore se forme sur son visage. Pourquoi? Va-t-elle me le dire?

-Un jeune garçon s'est pointé à la porte de l'appartement vers vingt-trois heures. Tu as de la chance que ton père ne dormait pas. C'est lui qui t'a portée jusqu'à ton lit. Tu pourras le remercier ce soir. Pour une fois qu'il accomplit sa mission de père. Elle lâche un rire dans cet océan de douceur. Les vagues qu'il contient sont roses et rouges, couleur des fleurs qu'elle me rapporte les journées d'été, parfum de ma belle et douce maman, celle qui me comble de par sa présence. Puis, elle quitte la cuisine en lançant ces quelques mots.
-Je vais lire dans ma chambre. Nous mangerons plus tard. S'il y a un problème, je suis là.

Ses paroles me rassurent. Je ne suis pas seule. Voilà ce qu'elle me dit à travers ces jolis mots: « je suis là. »
En attendant, si j'ai bien compris sa réponse, un garçon m'a déposée ici hier soir, mais qui étais-ce ? Étais-ce lui, le corbeau noir, celui que j'ai perçu dans l'obscurité? Il m'est toujours coincé dans l'esprit. Son visage ne me quitte pas. Il me hante nuit et jour et cela n'est pas une coïncidence, ni un pur hasard.
Mes chevilles sont toujours enflées et elles me font atrocement mal. Je quitte la table et débarrasse mon bol. J'emprunte quelques minutes pour nettoyer la vaisselle et retourne dans ma chambre.
Je me précipite alors sur mon téléphone pour répondre par message:

Moi: Désolée Gwen, j'ai une excuse: je suis une rêveuse, tu connais les causes mais aussi les conséquences de ce mot qui me définit si bien. xP

Je repose l'objet sur ma table de nuit puis ouvre le deuxième tiroir de ma table de chevet pour prendre le livre. Celui que je dévore tous les soirs depuis moins d'une semaine. Ce livre qui m'aide à m'abandonner aux étoiles. Ce livre qui m'emporte avec lui dans un pays merveilleux où les rêves deviennent réalité, où le temps est une personne, et où la folie est le coeur de notre caractère. Ce livre sur lequel est écrit à l'encre noir et à la police fantaisiste;
« Alice au pays des merveilles ».

~DIVING~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant