J-53

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Les feuilles commençaient à quitter les arbres pour s'étaler sur le sol, se faisant piétiner par des centaines d'étudiants de mon nouveau lycée.                                                                                         Comme ils ont de la chance, les arbres, de garder leur charme, nus, sans aucun artifice. La beauté est "subjective", soit-disant. Concept inventé par quelqu'un comme moi sans doute. Par quelqu'un qui ne rentre pas dans les normes. 

Ma mère venait de me déposer devant l'allée bondée de monde, qui fumaient ou s'extasient sur les nouvelles chaussure de quelqu'un. J'avais pris une grande inspiration, avant d'ouvrir la portière et de sortir dans ce qui allait être le pire endroit de ma vie. Premier pas dehors. - Un regard. Puis des dizaines. Des chuchotements. De rires, étouffées ou décomplexés - . Un deuxième. Un troisième, et toujours les mêmes réactions. Plus j'avançais et plus mon cœur se serrait. Je résistais à l'envie de pleurer. Je marchait vite, évitant tant bien que mal les regards et les moqueries. 

Je m'était réfugiée dans les toilettes durant un bon moment. Je m'était regardée dans le miroir, pour une fois. Et je les comprenaient, je comprenait leur dégoût, leurs rires. Mon corps, sans les autres, ne me dérangeais pas vraiment. C'est étrange, hein, de voir comment le jugement des autres peut nous impacter à ce point. J'avais selon ma mère "quelques kilos en trop",  j'était "obèse" selon mon médecin, et surtout,  j'était "un gros tas de merde" pour les autres élèves. La vision des chose est toujours la même, mais l'euphémisme avec lequel on l'annonce varie en fonction des personnes. 

Après que toutes les voix euphoriques eurent cessées de résonner dans la minuscule pièce que sont les toilettes, je sortait de la cabine dans laquelle je m'étais cachée. J'avais le visage bouffi et les yeux rouges d'avoir pleuré. Tant pis. Mon cas était déjà désespéré.

J'entrais dans ma salle de biologie, et vis une place libre près de la fenêtre. Je m'y installait et je fermais les yeux, a défaut de ne pas pouvoir fermer mes oreilles. Les minutes avançaient lentement, et personne ne s'installait  à coté de moi. Toute la classe m'envoyait de petits regards furtifs, avec un sourire moqueur au coin des lèvres. Alors je regardais, comme dans ma chambre, le soleil s'élever, avec patience, dans l'espace bleuté de mes rêves. 

La sonnerie m'avais tirée violemment de mes pensées, et un homme d'une soixantaine d'année, grisonnant, le teint fade, les trait tirées, nous avait présenté le programme de l'année. Déjà ennuyée, je soupirais. Au milieu de son discours, un garçon, plutôt grand, au cheveux noirs et aux yeux légèrement bridés entrait dans la salle. Il s'était excusée, et il était venu s'asseoir sur la table mitoyenne à la mienne. Il était vraiment mignon. Et contrairement aux autres, il m'a sourit, gentiment, sans la moindre méchanceté. 

Et alors, en un instant, mon cœur s'était emballé...


Les courbes de mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant