X. Ulrich

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   Lundi matin. Mes amis sont en cours, Maman au travail. Je suis seule à la maison, et je crois bien que ce sera le cas toute la semaine... Youpi. Adèle a promis qu'elle passerait me donner les cours et les devoirs tous les soirs. En attendant, j'ai intérêt à trouver de quoi m'occuper, ou je risque de m'ennuyer profond.

   Je commence par prendre une douche. Une bonne douche. Avec de l'eau chaude, pour apaiser ma peau tâchée d'hématomes. Ensuite, je me ferai un thé. Un thé à la menthe. Et puis... Et puis quoi ? Je pourrais regarder un film ou une série. Je pourrais bouquiner. Je pourrais...

   Je n'arrive pas à me concentrer sur mon livre. Je cogite trop. Je me demande pourquoi je suis partie de cette soirée. Je me demande ce qu'il va se passer quand j'irai porter plainte. Je me demande si Ulrich acceptera de venir avec moi. Je me demande pourquoi ça m'est arrivé, à moi. Je me souviens que je n'ai pas demandé à Benjamin s'il m'a vue au moment où je sortais de chez Adèle. Il faudra que je lui demande la prochaine fois que je le vois.

   Il est presque midi. Il serait temps que je pense à m'agiter un peu si je veux manger. Je commence à avoir faim... Mais on sonne. Merde, ça doit être la voisine. Pour venir à une heure pareille, il n'y a qu'elle, vraiment.

   Mais évidemment, c'est Ulrich qui me salue quand je lui ouvre la porte. Passé un instant de surprise, je lui adresse un grand sourire plein de dents. Je suis ravie de le voir. « J'ai pensé que ça te ferait plaisir de ne pas manger toute seule ce midi. » Et, avec ce sourire qui lui va si bien, il brandit devant moi un sac en papier rempli de bonnes choses. Whoua. Il est... J'ai pas les mots. Bien entendu, je bafouille de surprise. « Je... Mais, comment... Comment t'as su que... ? » « Que tu mangeais seule ce midi ? » Là, Ulrich pique un fard. Ses beaux yeux bleu nuit se perdent et finissent par fixer un point sur le mur, à sa droite. « Eh bien, je... En fait je l'ai deviné. Disons que j'ai parié sur le fait que Barbara- Enfin que ta mère n'aurait pas le temps de rentrer manger ! » Il a dit ça à une telle vitesse que je doute d'avoir tout saisi. Peu importe. J'ai faim, et j'ai super hâte de savoir ce qu'il a apporté.

   « Comment tu te sens, toi ? » Me demande Ulrich alors que j'ai la bouche pleine. Il nous a concocté, avec une aisance digne d'un grand chef, un plat de spaghettis aux olives et aux tomates séchés, avec des herbes de Provence... C'est un délice. Je prends le temps de terminer ma bouchée avant de lui répondre. « Disons qu'on est seulement lundi et que je commence déjà à m'ennuyer... Heureusement que tu as eu la bonne idée de venir ce midi ! Et ces pâtes sont absolument divines. » Ulrich rit en me voyant replonger dans mon assiette immédiatement après avoir terminé ma phrase. « Ça me fait plaisir que tu aimes. C'est l'un de mes plats préférés. Mais, ma question c'était plutôt : comment te sens-tu physiquement ? Tu as toujours aussi mal ? » Mon sourire s'efface quelque peu lorsque je prends conscience de la question qu'il me pose. Parce que c'est Ulrich. Et qu'il sait mieux que personne ce que j'ai subi ce soir-là. LE soir. Celui où il m'a sauvée. Je pose ma fourchette et ma cuiller et prends le temps de respirer. Je réalise que je mange très vite. « Ça peut aller. Je me déplace peu, et puis le médecin m'a prescrit une tonne d'antidouleurs, d'anti-inflammatoires et de trucs et de machins pour m'éviter d'avoir trop mal. Par contre... » Je continue, ou pas ? Ce n'est pas très important il me semble. Et ce n'est arrivé qu'une seule fois. Ce serait débile d'inquiéter Ulrich pour une bricole. Non, je vais attendre de voir si ça recommence, et si c'est le cas, alors j'en parlerai à quelqu'un. Mais pour l'instant, ce n'est pas la peine d'alarmer qui que ce soit. Comme je reste silencieuse, Ulrich pose sur moi un regard encourageant, interrogateur. « Qu'y a-t-il, Charlie ? »

   Wait. Comment est-ce qu'il m'a appelée, là ? J'ouvre de grands yeux. Pour la seconde fois aujourd'hui, Ulrich se met à rougir. Plus violemment cette fois. De nouveau son regard ne sait plus où se poser. Ne voulant pas le mettre plus mal à l'aise qu'il n'est, j'attrape mes couverts et entreprends de finir mon assiette. Mais il se reprend bien vite. « Pardon, j'ai juste entendu Adèle t'appeler comme ça et... J'ai trouvé que c'était un joli surnom. J'ai dû le retenir malgré moi. Excuse-moi, ce n'était pas mon intention de te déstabiliser. J'imagine qu'il n'y a que ta meilleure amie qui utilise ce pseudonyme. » Je ne réussis qu'à émettre un petit rire coincé. Pathétique.

CharlotteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant