Je bloque. Je fais comme un arrêt sur image. Ma main se détache de celle de Côme sans même que je ne m'en rende compte. Oh là là.
Il y a un temps, un silence. On croirait avoir été mis sur pause. Comme un instant au ralenti. J'observe Ulrich sans le voir, je sens Côme se raidir à côté de moi. C'est vrai qu'il ne l'aime pas trop. « Charlotte, qu'est-ce qu'il fout là ? » Je n'entends pas. J'entends, mais sans entendre. Sans comprendre. « Excuse-moi hein, mais c'est Charlotte que t'attends ? Parce que là elle est crevée, elle aimerait bien... » « Ça va, c'est bon. Côme, merci mais ça va, je peux m'exprimer toute seule. T'en fais pas, c'est... C'était prévu. Merci de m'avoir raccompagnée, c'est vraiment gentil de ta part. » Le regard de Côme reste fixé sur Ulrich pendant un instant. Je pourrais lui servir le pire des mensonges qu'il ne s'en soucierait pas. En revanche, si Ulrich esquisse ne serait-ce qu'un seul geste...
Côme finit par se tourner vers moi et son expression se fait plus vivante. Plus inquiète aussi. « Tu es sûre ? Bon. Si quelque chose ne va pas, tu... Ok, ok, compris. T'es grande. À plus, alors. Repose-toi. » Il pose sa main sur mon épaule et m'embrasse sur la joue. Ça me donne de la force pour me faire à l'idée que mon lit attendra.« Ma mère dort. Tu vas pas pouvoir rester longtemps. » Ulrich a l'air bien sérieux, ce soir, mais j'ai tout de même le droit à son sourire mystérieux. « On va faire un tour, pour parler un peu ? Je voudrais pas la réveiller. » J'hésite. Aller marcher dans le quartier avec un garçon que je connais à peine, à une heure pareille ? Evidemment, non. Mais ma petite voix – celle de la bêtise, celle de la sagesse, sûrement les deux à la fois – me rappelle que je suis face à la personne qui m'a probablement sauvé la vie. Qu'ai-je à craindre ? Et puis, je veux mes explications. « D'accord. Laisse-moi juste prendre une écharpe et on y va. »
Et c'est reparti. Je peux pas dire que je sois ravie de continuer à marcher dans le froid au beau milieu de la nuit, mais une chose me motive, alors j'enfonce mes mains dans mes poches et je marche. « Je voulais déjà m'excuser de t'avoir crié dessus comme je l'ai fait l'autre jour. Je me suis emporté, et... C'est pas dans mes habitudes. Je le regrette. » Moi aussi. « Moi aussi, je suis désolée qu'on se soit disputés comme ça. Mais je comprends toujours pas pourquoi. En fait, je suis perdue. Je suis complètement paumée, j'imagine que c'était une façon de passer mes nerfs... Enfin bref, moi aussi, je m'excuse. » Sourires contrits. Sourires soulagés. Respirations bruyantes dans le silence plat de mon quartier si calme. Le « clac ! clac ! » de nos pas sur le trottoir. Et Ulrich, qui reprend la parole. « Je sais. Je vois bien que t'es perdue. C'est pour ça...en partie, que je suis venu ce soir. Dès ce soir. J'ai vu ton message. Evidemment, ça m'a fait réfléchir, beaucoup. Y'avait tellement d'éléments à prendre en compte, d'un coup. Puisque tu as trouvé mon numéro. » Pause. Je parle ? Non. L'intuition me guide, et mon guide me bâillonne. Respiration profonde. « Donc, oui, ça m'a fait beaucoup réfléchir. Et puis je me suis dit que je te devais des explications. Que, de toute façon, tu finirais bien par comprendre. Ou qu'on te le dirait. Enfin bon, que, d'une manière ou d'une autre, il faudrait en passer par là. » Mais de quoi il parle, au juste ? De Maman ?? « Je voulais le faire, je veux dire je comptais le faire. Un jour. Je me disais, « pas maintenant, elle n'est pas prête... », ou bien « pas encore, il faut lui laisser le temps de se remettre »... Mais merde. Je te dis, il y a trop d'éléments à prendre en compte. J'en ai eu ras-le-bol, et puis tu as parlé d'aller voir la police et... J'ai paniqué. Barbara aussi. » Je m'arrête. Pose une main légère sur son bras, juste pour le faire réagir. « Ulrich ? » Il relève la tête comme si je l'arrachais du sommeil, d'un rêve, d'une autre réalité. « Oui ? » « Je ne comprends rien à ce que tu racontes. » Il sourit encore, de son demi-sourire si caractéristique. Un sourire qui dit « excuse-moi ».
« Tu te souviens de cette nuit-là ? » Ca, si je m'en souviens... Quelle question. J'acquiesce. « Tu te souviens du moment où je suis arrivé ? D'accord. Tu ne t'es jamais demandé, ensuite, plus tard, pourquoi j'étais là ? Non ? Tu t'es dit que c'était le fruit du hasard, que tu avais été très chanceuse que je passe dans les parages... » Je me suis dit ça. Vrai. Mais Côme, lui... Côme s'est demandé. Et moi je l'ai engueulé. « En fait... En fait Charlotte, j'étais pas là par hasard. » Ah. Première nouvelle. Mon attention en est un peu plus accrue. « En fait, l'homme qui t'a agressée cette nuit-là, cet homme... C'est mon père. » Je manque de tomber. Stop. Stop, je dois m'arrêter. M'asseoir, sur ces marches, là.
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Charlotte
General FictionElle se réveille dans son lit, elle a mal partout, elle ne se souvient de rien. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Avec qui ? Et surtout, qui est ce jeune homme qui apparaît dans ses flashs de mémoire et qui se tient là, à côté de sa mère ? Quel rôl...