Hermine avait écouté son frère, longuement, les doigts crispés sur les accoudoirs, tentant de calmer la rage qui jouait tout au fond de son cœur. En ces années-là, elle s'était conduite comme une enfant attirée par l'obscurité. Elle n'était pas seule à avoir suivi cette route secrète, celle de la domination par le savoir. Mais là où certains s'y étaient engagés en solitaire, elle s'était liée avec ces deux femmes qui lui ressemblaient tant, comme un double reflet de ce qu'elle était, l'un d'ombre et l'autre de lumière.
Mais à la fin, quand les bosquets s'étaient fanés, quand les clairières et les colonnades de marbre s'étaient désertées et que la lune n'avait plus été qu'un œil rond et pâle dans le ciel, Hermine avait choisi sa famille et l'exil, sous la promesse de ne plus invoquer la magie ancienne qu'elles avaient partagée. À première vue, l'une d'entre elles ne l'avait pas respectée – et elle devinait aisément laquelle. Celle qui avait toujours outrepassé leurs règles, sans même se donner la peine d'adopter une vertueuse façade.
Ce n'était cependant pas à elle de remettre les choses en ordre. Même si elle se savait sauvage et impitoyable, elle craignait de plonger son regard dans les profondeurs sanglantes de prunelles habitées par une folie plus subtile et plus pernicieuse que la sienne.
Hermine n'avait fait aucun effort de toilette, se contentant de brosser ses cheveux et de passer une longue robe d'intérieur aux couleurs automnales. Les coups retentirent au heurtoir de la porte, qu'elle ouvrit sur un matin gris et un jeune homme d'allure ordinaire ; elle aurait lâché ses chiens sur lui s'ils n'avaient été liés par le sang – même celui d'un père honni. Elle savait pertinemment que cela n'aurait servi à rien et que les bêtes ingrates se seraient couchées à ses pieds, offrant leur gorge à celui qui, injustement, avait tout pouvoir sur eux. En dépit de sa vaste mémoire, elle ne parvenait à se rappeler la dernière fois où ils s'étaient vus seul à seule... et peut-être que cela n'était jamais arrivé.
Elle se demanda une fois encore ce que son jumeau pouvait bien trouver à ce garçon à l'esprit brillant, mais futile, à cette personnalité qui s'était toujours si bien accommodée de fréquenter le commun. Il était un membre de sa famille et jamais elle n'aurait attenté quoi que ce soit contre lui, ne serait-ce que pour ne pas peiner Léo, mais elle aurait aimé pouvoir le pousser sur le côté, comme un grain de sable irritant.
Hermine reconnaissait aussi que le « Morveux », comme elle se plaisait à le surnommer, s'était engagé plus loin que quiconque, à par leur oncle dont il avait été le disciple, sur les chemins de la vie, de la mort et des savoirs cachés. Encore plus loin qu'elle... en fait. Et quand elle s'en souvenait, cette lueur d'argent qui illuminait parfois son regard la brûlait comme une flamme trop vive. Car en dépit de son visage innocent, ce garçon était dangereux. Le plus dangereux d'entre eux, peut-être. Et cela même si, au fil du temps, il avait développé un sentiment gênant : la compassion. Pas seulement pour les siens, mais également pour la plèbe. Par le passé, il avait pu se montrer, à l'occasion, aussi orgueilleux et cruel que n'importe lequel d'entre eux, mais ce n'était pas dans sa nature. Il était un joueur, imprévisible, calculateur, indifférent au gain, en toutes choses de la vie : le pouvoir, l'amour, la mort. Il était juste... incompréhensible.
« Hermine. »
Elle se recula légèrement pour le laisser passer, mais elle se refusait à lui témoigner la moindre preuve d'égard. Il entra dans son antre avec suffisamment d'humilité pour qu'elle n'ait rien à lui reprocher, mais Hermine ne lisait en lui aucune soumission réelle. Un peu de réserve, peut-être, mais rien de plus.
Les chiens à ses pieds, à demi endormis dans l'aura chaleureuse du foyer, ouvrirent un œil prudent, puis se redressèrent, aux aguets, comme prêt à recevoir un ordre qui ne viendrait jamais. Plus d'un mâle orgueilleux avait goûté de leurs crocs... mais le Morveux était capable de les commander et plus encore, de les détourner de leur maîtresse – un don qu'elle jalousait, pas si secrètement.
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Histoires hermétiques - La Tisseuse de Lune [Terminé]
ParanormalEn cette toute fin de XIXe siècle, Paris est le théâtre de faits insolites : une concierge affolée prétend avoir vu un voleur courir sur des rayons de lune. C'est ainsi que débute pour le comte Alexandre d'Harmont, encyclopédiste de l'Étrange, et le...