Chapitre IX - Un éclat de Lune

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Le comte ne pouvait s'empêcher de ressentir une profonde excitation à la perspective d'approcher la demeure des mystérieux « Douze »... Et plus précisément, de rencontrer l'une de ces fabuleuses beautés si largement célébrées. À vrai dire, la « divine » Rosabelle l'intéressait assez peu, contrairement à la brillante Julie et à la sauvage Hermine. Mais ce qui le fascinait tout particulièrement chez cette dernière était l'aura d'étrangeté qui l'avait toujours entourée.

Henri lui semblait bien trop sombre, trop pensif. Le journaliste n'avait pas décroché un mot depuis leur départ de Paris. Quand d'Harmont s'était enquis de la raison de son silence, son ami avait prétexté un peu de fatigue, mais il le devinait tendu et inquiet. Pour ainsi laisser parler ses humeurs au point de ne pas être capable de les dissimuler, le jeune homme devait être particulièrement troublé. Il espérait juste que cela n'était pas lié à l'entrevue avec sa sœur.

La demeure des Berliniac se situait à une heure de Paris ; les deux amis avaient préféré emprunter un fiacre à cheval plutôt qu'un véhicule électrique, afin de ne pas attirer l'attention. Après de longues minutes à contempler des champs sous la pluie ou, plus exactement, de vastes étendues d'herbe jaunie et de terre glaiseuse entrecoupées de haies noirâtres, ils parvinrent enfin à destination. Ils rasèrent un haut mur qui suivait la route, délimitant l'immense propriété des Berliniac, puis un portail que le cocher, sans doute un serviteur inféodé à la puissante famille, partit déverrouiller avant de remonter sur son siège.

Le fiacre s'engagea sur une large allée de gravillons, bordée de buissons décharnés par l'hiver, au milieu d'un parc faussement négligé. Le véhicule obliqua vers un chemin secondaire filant vers la gauche, offrant brièvement au comte la vision d'une vaste bâtisse blanche agrémentée de deux ailes et dont l'entrée s'ornait d'un fronton gréco-romain.

« Ambrosia, présenta laconiquement Henri.

— Pardonnez mon jugement, mais je trouve le tout plutôt... prétentieux.

— Ne vous excusez pas, je suis du même avis.

— Je n'ai jamais douté de votre bon goût. »

Le jeune homme sembla à peine entendre sa remarque. Ses doigts pianotaient nerveusement sur le rebord de la fenêtre. La voiture s'arrêta dans la boucle de l'allée, laissant les deux passagers mettre pied à terre. Henri sortit son briquet et son étui en argent, dont il tira une cigarette. Il fuma lentement, délibérément, fixant sans vraiment les voir les frondaisons noires de hauts conifères. Le comte scruta les profondeurs du parc, cherchant le signe d'une habitation humaine. Il se sentait d'autant plus impatient du fait des atermoiements d'Henri.

« Si j'étais vous, dit le journaliste avec une légère amertume, je ne serais pas si pressé...

— Il n'est pas donné à tout le monde de rencontrer votre sœur. »

Il tira une dernière bouffée avant d'écraser le mégot sur un tronc à côté de lui et de le jeter dans les buissons.

« Vous êtes un homme brave, mon cher comte, rétorqua-t-il ironiquement. Suivez-moi. »

À une trentaine de mètres de là, dissimulé par un bouquet d'arbres, se dressait un petit pavillon de chasse, élevé en brique et en calcaire blanc, d'une architecture simple et bien plus charmante que la tapageuse Ambrosia. Une poignée de chiens de chasse vint à leur rencontre en remuant la queue. Henri les flatta machinalement, avant de gagner la porte pour actionner le heurtoir.

« Entrez », prononça une voix musicale, légèrement rauque.

D'Harmont pénétra à la suite d'Henri, regardant attentivement autour de lui. La bâtisse n'avait pas de hall d'entrée, juste un séjour orné de riches boiseries, flanqué de deux autres pièces – probablement une chambre et une cuisine. Rangée après rangée de trophées prenaient d'assaut les murs : massacres de cerfs, têtes naturalisées de sangliers... Une grande table occupait une moitié de l'espace, tandis que l'autre était meublée d'un petit salon disposé devant l'âtre. Dans un profond fauteuil de cuir, ses jambes bottées posées sur un tabouret, une jeune femme était nonchalamment installée. Sa peau claire, ses yeux sombres et brûlants, sa chevelure à peine disciplinée composaient une étrange harmonie avec ses habits masculins où s'alliaient le cuir et le tweed. Un fusil était appuyé contre l'accoudoir, comme s'il n'attendait que d'être pris en main.

Histoires hermétiques - La Tisseuse de Lune [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant