Chapitre XIV - Combat nocturne

28 6 0
                                    

D'Harmont sentit une sueur froide glisser dans son dos : le combat s'annonçait ardu. Il ne pouvait hélas rien faire pour son ami ; juste garder confiance en ses capacités de survie. Mais déjà, Henri avait repris sa contenance. Il se tourna vers la femme, avec une expression tout à la fois triste et décidée :

« Je te laisse encore la possibilité de le délivrer sans en venir à ce conflit qui n'a pas de sens. Crois-tu réellement que ta créature a la moindre chance contre moi ?

— Sans doute pas, non, répondit-elle avec une désinvolture nouvelle, mais pourquoi serais-je la seule à connaître la morsure du dédain ? Tu veux être à jamais libéré de moi ? Tu devras faire le nécessaire. Je prendrai plaisir à voir couler le sang précieux des parvenus que vous êtes... Et qui sait ! Peut-être que la puissance que je lui ai insufflée et mon expérience bien plus ancienne que la tienne seront suffisantes pour te mettre à terre...

— N'y compte pas trop. »

Le journaliste s'était redressé ; il semblait plus grand soudain, et imbu d'un charisme si palpable que même Alexandre, son complice et confident, peina à le reconnaître. Les prunelles du jeune homme étaient devenues argentées, comme si la flamme qui y brûlait parfois les avait totalement envahies. Sur sa poitrine, le médaillon de lune luisait d'une pâle lueur de même nuance que celle de l'astre nocturne.

La créature réapparut, l'échine courbée comme si on l'avait fouettée en avant. Mais sa pâleur lunaire s'était intensifiée, comme si elle brillait à présent de sa propre lueur. Elle baissa légèrement la tête... et soudain, attaqua. Henri l'esquiva d'un mouvement si rapide qu'Alexandre put tout juste le percevoir. Il réapparut dans le dos de l'invocation, qui pivota, toutes griffes dehors, pour se jeter de nouveau sur lui.

L'affrontement se transforma bientôt en une danse redoutable, à peine visible à l'œil du profane. Le comte connaissait les aptitudes de son ami, même s'il les avait rarement vues en action. Que la créature puisse même lui tenir tête témoignait de la puissance de l'invocation.

Le cœur au bord des lèvres, d'Harmont se tourna vers la magicienne :

« Comment avez-vous pu créer... cela ? »

Un lent sourire, terrible dans ce visage qui ressemblait à un masque, dévoila une dentition carnassière :

« Cette créature ne vit que par moi. Elle est ma chose... Et même, en un sens, mon enfant. Je lui prête ma force. Elle est tout à la fois mon amour blessé, mon chagrin et ma colère. Elle est la mort, la vie, et la Lune... »

Au même instant, les ongles tranchants de la créature accrochèrent la manche d'Henri, déchirant l'étoffe et entamant la chair ; le sang du journaliste ruissela sur sa main, poissant la garde du poignard. D'Harmont prit une inspiration brutale ; d'un seul geste fluide, il dégaina la lame de sa canne-épée et la pointa vers la femme :

« Rappelez votre créature », siffla-t-il entre ses dents.

Elle leva ses deux mains pâles, comme pour témoigner de son innocence :

« Mon pauvre ami, que croyez-vous pouvoir contre moi ? »

Sa forme sombre vacilla et s'évapora, ne laissant devant ses yeux que la forêt de tombes. Le cœur battant, il se retourna pour la trouver derrière lui :

« Je sais manier les illusions... et les perceptions humaines sont si trompeuses ! »

Elle disparut de nouveau, pour réapparaître à son côté, susurrant malicieusement :

« Et quand bien même vous parviendriez à me tuer, vous ne l'aideriez pas. Ma créature combattra jusqu'à ce qu'elle ait détruit son ennemi... ou qu'elle soit elle-même détruite. »

Histoires hermétiques - La Tisseuse de Lune [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant