Le comte fut tiré d'un lourd sommeil par les coups qui tambourinaient à sa porte. Il fut tenté de plonger sa tête sous son oreiller pour ne plus l'entendre avant d'en reconnaître la provenance. Il se dit confusément que sa concierge – un peu du même modèle que madame Vacher – et ses voisins ne manqueraient pas de se plaindre amèrement auprès de lui d'un tel dérangement. Parvenant enfin à se tirer des rets du sommeil, il se dégagea avec effort de son épaisse couette.
Il alluma sa lampe de chevet et lança un coup d'œil à la montre posée sur sa table de nuit : une heure du matin ? Qui était le malotru qui osait le réveiller à pareil moment ? La journée avait été bien assez longue.
Grommelant à moitié, il trouva ses pantoufles, revêtit sa robe de chambre de flanelle et se dirigea vers la porte. Son appartement, au second étage d'un immeuble discret du Quartier latin, ressemblait à une bibliothèque : toute la surface des murs était prise d'assaut par des étagères couvertes d'ouvrages ou d'objets bizarres ramenés des quatre coins de France voire du monde. Il n'y invitait que rarement, préférant rencontrer ses connaissances et même ses amis dans l'ambiance conviviale d'un café ou d'une brasserie. Peu de gens pouvaient prétendre qu'ils possédaient son adresse.
Quand d'Harmont ouvrit le battant, il fut surpris de se trouver face à face avec un Henri Berliniac habillé de pied en cap, le regard décidé en dépit des cernes violets sous ses yeux. Ce qui ne l'empêcha pas de détailler avec un petit sourire moqueur sa longue chemise et son bonnet de nuit sous la robe de chambre à gros carreaux.
« Quelle élégance, mon cher ami !
— Je voudrais bien vous y voir, grommela-t-il. Quel prétexte vous conduit à importuner un homme de mon âge quand il se trouve plongé dans le sommeil du juste ? »
Le jeune homme marqua un temps de silence, avant de déclarer :
« Je pense savoir où nous pourrons trouver notre créature – et sans doute son invocatrice. »
Aussitôt, le comte se sentit plus alerte.
« Je m'habille immédiatement ! Voulez-vous entrer en attendant ?
— Je vous remercie, mais je préfère attendre ici, répondit Henri d'un ton pressant. Faites au plus vite. »
Le comte n'aimait guère être brusqué dans sa mise ; il appréciait de prendre son temps à accorder les couleurs de ses habits – même si ses choix pouvaient passer pour excentriques, à trouver la bonne cravate ou le bon foulard, à examiner sa collection de hauts-de-forme. Mais cette fois-ci, il se contenta d'un simple costume d'épais lainage brun froncé, sans fioriture, et d'un chapeau de velours noir. Il ajouta un long manteau vert sombre et attrapa sa canne-épée, plus que jamais utile s'ils devaient affronter de dangereux ennemis.
« Où allons-nous, donc ? demanda-t-il à Henri pendant qu'il verrouillait la porte.
— Dans un endroit qui s'imposait de lui-même, finalement. Un fiacre nous attend ; inutile de le faire patienter plus longtemps. »
L'encyclopédiste décida de ne pas poser davantage de questions : Henri semblait plus nerveux que jamais, son expression presque hantée dans le clair-obscur des réverbères. La voiture quitta la rue du Cardinal Lemoine pour se diriger vers le pont Sully. Les éclairages de la ville faisaient miroiter doucement les eaux de la Seine ; une bruine légère les brouillait subtilement, leur prêtant un aspect presque onirique.
La place de la Bastille était quasiment déserte à cette heure de la nuit ; après avoir contourné la Colonne de Juillet, le fiacre s'engagea vers la rue La Roquette, en direction de Ménilmontant, et d'Harmont commença à nourrir quelques soupçons.
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Histoires hermétiques - La Tisseuse de Lune [Terminé]
ParanormalEn cette toute fin de XIXe siècle, Paris est le théâtre de faits insolites : une concierge affolée prétend avoir vu un voleur courir sur des rayons de lune. C'est ainsi que débute pour le comte Alexandre d'Harmont, encyclopédiste de l'Étrange, et le...