De retour à l'hôpital, Séamus était assis face à un interne qui, depuis maintenant une quinzaine de minutes, lui faisait subir toute une batterie de tests plus ou moins banals. Après avoir braqué sa lampe droit dans les yeux de son patient, il se recula et lui demanda :
- Comment te sens-tu ? Il n'y a rien dont tu souhaites me parler ? Pour tes migraines, ne t'inquiètes pas, il n'y a rien d'anormal à en avoir après un tel accident.
Quittant le lit sur lequel il était assis, Séamus prit un instant pour réfléchir et répondit :
- Non... Ou plutôt si, mais je ne pense pas que ça soit très important...
- Dis toujours, je t'écoute.
- Voilà...je fais des rêves, ou plutôt des cauchemars, depuis quelques nuits, toujours le même...
- Tu sais, ton cerveau vient d'éprouver un choc important. Il a besoin d'évacuer tout ce stress et il n'a pas d'autre moyen de s'exprimer que par ton subconscient. Tu risques de faire des mauvais rêves pendant encore quelques temps.
Après un temps, Séamus ajouta d'un ton hésitant :
- Et... Et je n'ai aucun souvenir de mon accident. Comme s'il ne s'était rien passé.
L'interne le regarda silencieusement pendant quelques secondes, puis alla jusqu'à la table qui se trouvait dans un coin de la pièce exiguë, pris un stylo et lui tendit un papier avec un numéro griffonné dessus :
- Voici le numéro d'un ami psychologue. Ça pourrait t'aider de discuter avec lui.
Séamus arriva devant le pub dans lequel il travaillait en tant que serveur depuis presque un an. La devanture en bois délavé arborait fièrement de hautes lettres dorées qui annonçait : « The Fierce Banshee ».À peine eut-il poussé la porte que l'atmosphère chaude et familiale du pub. Kaelig, la tenancière, tourna la tête vers le nouvel arrivant et, un verre propre et un torchon à la main, lui lança :
- Tiens ! Un revenant ! Tu me dois seize jours de travail. Sans salaire.
- Très drôle. Je n'ai été absent que dix jours, tu sais. Et, à ma décharge, j'aurais du mal à apporter les consommations avec un bras dans le plâtre, ajouta-t-il en soulevant son bras blessé comme un trophée.
- Je suis sûre que tu trouveras une solution. Et outre ton accident et le fait que tu aurais pu y rester, tu ne m'as pas appelée une seule fois et j'ai dû trouver un serveur au dernier moment, dit-elle en désignant du menton un adolescent roux dégingandé qui tenait maladroitement un plateau chargé de verres sales.
Juste à ce moment, comme un coup du sort, le jeune homme s'empêtra les pieds dans ses propres jambes d'une manière plutôt pathétique et s'étala de tout son long, renversant les chaises et brisant les verres vides.
- Regarde-moi ça... Un vrai désastre, marmonna Kaelig, moitié pour Séamus, moitié pour elle-même. Puis, élevant la voix : Balai, serpillière : sous l'escalier. Tu connais le chemin maintenant. Et nettoie tout ça avant qu'un client n'arrive !
L'adolescent, rendu encore plus maladroit par la honte, s'activait tant bien que mal. Le quittant des yeux, Séamus demanda à son employeuse:
- Pourquoi tu le gardes, s'il est si nul ?
- C'est mon cousin, répliqua-t-elle dans un soupir, Mon oncle m'a bien aidé quand j'ai repris le pub, alors je lui devais bien ça. Bref, qu'est-ce que tu veux ?
Il prit une inspiration et se lança :
- Voilà, j'aurais des questions à te poser, mais c'est assez délicat.
Kaelig leva un œil du verre qu'elle astiquait :
- Dis toujours.
Séamus savait qu'ils'avançait sur un terrain glissant.
- C'est à propos... de ton coma.
Ces mots tombèrent dans un silence pareil à celui qui précède l'orage. Kaelig avait posé le verre avec un bruit sec et, dans la salle, son cousin avait cessé de balayer. Le torchon passé par-dessus l'épaule, elle se pencha par-dessus le comptoir et approcha son visage de celui de Séamus,qui ne cilla pas.
- Si c'est pour me parler de ça, susurra-t-elle d'une voix menaçante, tu peux déguerpir tout de suite.
Marban, le frère jumeau de Kaelig, était mort il y avait de cela huit ans. Le jour même,Kaelig avait fait une tentative de suicide et était restée dans le coma pendant une semaine. Séamus aimait bien Marban. C'était souvent lui qui l'avait gardé lorsque sa mère travaillait tard. Ille considérait comme un grand frère. Par conséquent, Kaelig était comme sa grande sœur.
- Au cas où tu l'aurais oublié, j'étais dans le coma il y a moins de deux semaines. Je veux juste en discuter.
Elle se radoucit, ou du moins se montra moins agressive :
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Est-ce que tu te souviens de ton..., il hésita à terminer sa phrase
- De mon suicide ?, trancha-t-elle, Écoute-moi bien Séamus : je me souviens de tout, dit-elle en détachant clairement ces derniers mots. Chaque instant est gravé dans ma mémoire et je ne pourrai jamais oublier. Puis, soulevant un sourcil : Pourquoi cette question ?
- Pour rien, répondit-il promptement. Merci. C'est tout ce que je voulais savoir.
- Parfait.
Son regard fut attiré par un mouvement fugace à l'extérieur du pub et il ajouta,distrait :
- Je reviendrai travailler la semaine prochaine. Si tu veux toujours de moi...
Kaelig le laissas'éloigner d'un pas vif, puis le rappela :
- Et, Séamus ? Oublie les seize jours sans salaire.
Il lui sourit d'un air reconnaissant, mais s'impatienta en son for intérieur :
- Mais tu feras quand même des heures supp'...
Sitôt qu'elle eut terminé sa phrase, il se précipita dehors, à la recherche de la silhouette fantomatique qu'il avait aperçut par la fenêtre.

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Wait and Sea
Short StoryLe va-et-vient des vagues, le murmure de la brise dans les hautes herbes, l'odeur de la mer et le parfum du sable humide. Après un accident de moto, Séamus rencontre une femme sans âge qui l'obsède...