Il se leva de mauvaise humeur. Il n'avait pas passé une seule nuit sans faire ce même cauchemar qui le tenait éveillé le soir et le laissait épuisé au matin. Et son bras le faisait toujours souffrir. Il s'endormait en rêvant qu'on le lui coupait, somnolait le sourire aux lèvres,soulagé par ce fantasme, et était réveillé en plein milieu de la nuit par des voix fantomatiques qui le harcelaient et martelaient constamment le même chant laconique.
Alors qu'il s'apprêtait à sortir, sa mère l'interpella d'une voix douce :
- Séamus ? Tu peux venir s'il te plaît ?
Avec un soupir de résignation, il reposa son manteau et se dirigea vers le salon où l'attendait sa mère, assise sur un vieux fauteuil. Il s'assit en face d'elle et, poussant négligemment du pied le circuit de train avec lequel jouait Aengus, planta ses yeux dans ceux de sa mère.Elle baissa le regard et le porta sur ses mains qui tenaient une tasse de thé brûlante :
- Je... Enfin, on n'a pas beaucoup parlé depuis ton... ton...
Avec un soupir, il vint à son secours :
- Dis-le. Mon accident.
- Oui, voilà, ton accident, dit-elle en levant les yeux vers son fils, reconnaissante, Et je me disais que, peut-être ce n'était pas une bonne idée... Que, peut-être, tu devais avoir besoin d'en parler.
- Oh, pas forcément avec moi, ajouta-t-elle rapidement, mais... un psychologue, par exemple...
Il soupira, encore. Il ne voulait pas avoir cette discussion. Certainement pas maintenant, et certainement pas avec Aengus à côté, et certainement pas avec elle. Ne pouvait-on pas le laisser tranquille ? Était-ce trop demander ? Il releva la tête vers elle et lui offrit un sourire forcé :
- Non, tout va très bien.
- Tu es sûr ? C'est que... tu sembles ailleurs et... différent, répondit-elle, peu convaincue.
Cette discussion commençait sérieusement à l'énerver. Il décida de lui jeter quelques informations, en espérant qu'après cela elle le laisserait en paix :
- Bon, d'accord. Je ne me souviens pas de mon accident. Tout ce dont je me souviens, c'est de m'être réveillé à l'hôpital.
- Enfin... tu dois bien avoir quelques souvenirs de... l'accident. C'est sans doute le choc qui te fais dire ça mais...
Il la coupa avec colère :
- Non, tu ne comprends pas. Je sais que j'étais en état de choc mais, je veux dire que je ne me souviens de rien, et il insista clairement sur ces derniers mots. J'ai fait des recherches, et ce n'est pas normal de n'avoir absolument aucun souvenir. C'est comme si je n'avais jamais eu d'accident...
- Alors comment tu expliques que tu te sois retrouvé à l'hôpital ? Comment tu expliques ton coma ?
Séamus poussa un soupir de rage. Personne ne comprenait. Ils ne pouvaient pas comprendre. Ou bien ils ne voulaient pas comprendre. Il se redressa et ramassa ses affaires. Aengus qui, du haut de ses trois ans, ne comprenait rien à ce qui se passait se mit à pleurer. Il sortit en faisant claquer la porte de colère. Il parti d'un pas vif et rapide, marchant droit devant lui, sans savoir réellement où aller, laissant ses pas le guider. Il se retrouva rapidement sur la jetée, où il s'arrêta et demeura ainsi face à la mer. Le vent froid chargé d'embruns lui fit monter les larmes aux yeux. Ou peut-être étaient-ce des larmes de colère. Il fourra les mains dans les poches de sa veste, à la recherche d'un mouchoir, et sentit un morceau de papier plié en plusieurs morceaux. Il le déplia et le porta à ses yeux. Sur le papier froissé était griffonné un numéro de téléphone, accompagné d'un nom : Dr. Klue. Séamus déchira la note et laissa les bouts de papier s'envoler vers la mer. Intrigué par un léger mouvement sur sa gauche, il tourna la tête. Assise face aux flots se trouvait la jeune femme.
Pour la première fois,elle ne disparut pas à son approche. Il s'assit à ses côtés, sur le sable froid. Ils restèrent ainsi, face à l'immensité de la mer,sans rien faire, sans rien se dire. Séamus pouvait enfin l'observer tout à sa guise. Ses boucles si blondes qu'elles en paraissaient blanches flottaient au rythme de la brise marine. Son visage était clairsemé de discrètes taches de rousseur. Sa robe de soie écrue semblait salie, souillée par le vent et les embruns. Le regard de Séamus glissa sur les pieds, toujours à nu, de la jeune femme.
Un bateau passa à l'horizon. Dans le ciel qui se teintait d'orange, les mouettes volaient en cercle. Au bout d'un certain temps, elle se leva et se tourna vers lui. Une esquisse de sourire aux lèvres, elle lui tendit une main qu'il saisit. Lentement, elle avança vers la mer sombre qui allait et venait paisiblement sur le sable humide. Ses yeux délavés étaient plongés dans ceux de Séamus qui ne pouvait s'en détacher.Il mit un pied dans l'eau, puis un autre, et continua ainsi sur quelques mètres, sans sentir les vagues froides et salées qui lui battaient les mollets. L'eau lui arrivait à la poitrine. Elle disparut sous la surface de l'eau grise et attira sa proie jusqu'à elle. Surpris par la brutalité et la force de la nymphe, Séamus ouvrit la bouche pour crier, et l'eau s'engouffra dans sa gorge, et le sel lui brûla les yeux. Il tenta de se dégager, de rejoindre la surface et l'air qui lui manquait tant,mais elle maintenait fermement son emprise. Elle planta ses yeux dans les siens, comme un dernier coup meurtrier, et il cessa de se débattre. Il sentit ses poumons se remplir peu à peu d'eau, et se vider d'air dans la même moment. Des points noirs dansèrent devant ses yeux, brouillant le visage angélique qui le regardait tendrement.
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Wait and Sea
Krótkie OpowiadaniaLe va-et-vient des vagues, le murmure de la brise dans les hautes herbes, l'odeur de la mer et le parfum du sable humide. Après un accident de moto, Séamus rencontre une femme sans âge qui l'obsède...