Wait and Sea

III

Cela faisait maintenant deux jours qu'il était rentré chez lui et qu'une étrange mélancolie s'était emparée de lui. Il n'était toujours pas retourné en cours. Ni au travail, d'ailleurs. Tant pis, Kaelig se débrouillerait très bien sans lui. Et si cela ne lui plaisait pas,elle n'avait qu'à se trouver un autre serveur. Son plâtre le démangeait et son bras lui faisait mal. Il n'avait envie de rien et on ne lui posait pas de questions.

Allongé sur le dos,Séamus réfléchissait. De quoi se souvenait-il ? Il était sur sa moto, c'était ce dont il se rappelait, et puis... et puis... Et puis rien. Excepté un bruit terrible, comme d'un tonnerre fracassant, comme des milliers de vagues qui s'écraseraient au même instant sur son crâne... Et puis rien. Jusqu'au moment où il avait senti ses poumons se vider d'air et où il s'était réveillé dans cette chambre blanche et impersonnelle, avec le visage rassurant de sa mère, comme un phare dans l'obscurité marine. Cela n'avait aucun sens. Il avait forcément dut voir la voiture arriver sur lui, sentir les os de son bras se briser, la moto l'écraser. Il devait se souvenir de quelque chose. Mais tout ce qui lui restait c'était...rien.

Dans la pièce voisine,le silence se fit et il entendit les planches du palier craquer sous des pieds qui se voulaient discrets et le tirèrent de sa rêverie.Un léger sourire aux lèvres, Séamus saisit un livre qui traînait par terre depuis bien trop longtemps et, faisant mine de s'y intéresser, se mit dos à la porte. Un petit garçon affublé d'un masque de monstre apparu dans l'embrasure de la porte. Il avança encore quelques mètres sur la pointe des pieds, dans un silence relatif, puis se jeta sur son frère en poussant des cris. Séamus l'empoigna tant bien que mal de son bras valide et se mit à le chatouiller. Les éclats de rire de l'enfant emplirent la pièce en même temps qu'il tentait d'échapper à l'emprise de son frère, qui se tenait face à la fenêtre.

Séamus s'arrêta brusquement, sans tenir compte des protestations d'Aengus. Sur le trottoir de l'autre côté de la rue, il venait devoir la femme de l'hôpital. Il l'avait complètement oubliée. En plein jour, il pouvait enfin détailler ses traits. Son visage pâle était encadré par des cheveux bouclés ni tout à fait blonds ni tout à fait blancs. Bien qu'il ne pouvait voir ses yeux distinctement, il les devinait de couleur clair. À première vue, il lui avait donné une vingtaine d'années, à peine plus âgée que lui. Mais à présent qu'il voyait clairement son visage, il ne savait plus. Quelque chose d'indéfinissable lui donnait un air centenaire, et pourtant ses traits étaient ceux d'une jeune femme. Jeune et vieille, elle n'avait pas d'âge. Il remarqua qu'elle portait la même robe que la première fois qu'il l'avait vue et était toujours pieds nus. Elle leva la tête vers lui, comme si elle avait su qu'il la détaillait.  

Abandonnant son frère sans une explication, il dévala les escaliers et sortit de la maison en courant, sans prendre le temps de se chausser. Lorsqu'il arriva dehors, la femme avait disparu.

***

Il dormit mal. Le même cauchemar le poursuivit toute la nuit. Tout était noir, sans aucun repère. Il était sans cesse ballotté de droite à gauche, comme sur un bateau un jour de tempête. Mais il n'était pas sur un bateau. Il n'y avait rien sous ses pieds, rien d'autre que le néant.Mais ce qui le hanta le plus à son réveil, se fut le souvenir des voix qui murmuraient à ses oreilles :

- L'écume.... Elles se dissolvent... Elle disparaîtra... Elle se dissoudra... Elle se dissoudra en écume...