21 h 06

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« J'ai exactement vingt minutes avant que mon manager pète les plombs. »

La voix douce d'Ariana Grande résonne dans le hall de l'hôpital, calme à cette heure. C'est donc elle, l'idée batmanienne de Justin : Ariana Grande, la chanteuse mondialement connue, la diva de la musique pop. Avec sa tenue glamour : mini-jupe noire accompagnée d'une paire d'escarpins de la même couleur, crop top noir et blanc, serre-tête avec oreilles de chat posé sur ses cheveux attaché en une cuche haute, elle détonne autant dans ce cadre austère qu'une autruche dans une basse-cour. Plusieurs personnes l'accompagnent: Liz et Sarah, Mike et Fitzy, respectivement guitariste rythmique et bassiste de la tournée de Justin, plus une brochette de jeunes branchés de Portland que je reconnais vaguement. Ses longs cheveux qui descendent en cascade dans son dos la font ressembler à un soleil autour duquel tournent les planètes de ses admirateurs. Justin, qui se frotte le menton, un peu à l'écart, évoque plutôt la lune. Kim, elle, est bouche bée, comme si une horde de Martiens venait d'envahir le bâtiment. A moins que ce ne soit parce qu'elle idolâtre Ariana Grande. Ce que fait aussi Justin, d'ailleurs. Moi mise à part, c'est un des rares points communs de mon amie avec Justin.

« Il n'y en a pas pour plus d'un quart d'heure », promet Justin.

Ariana se dirige vers lui à grandes enjambées. « Justin, mon coeur, tu tiens le coup ? » roucoule t-elle en l'étreignant comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Pourtant, je sais pertinemment qu'ils se sont rencontrés aujourd'hui pour la première fois. Hier encore, Justin me disait que cette perspective le rendait nerveux. Et maintenant, voilà qu'elle se comporte comme s'il était son meilleur ami. C'est le milieu de la musique qui veut ça, sans doute. Je vois tous les autres regarder la scène d'un oeil envieux. Si ça se trouve, ils souhaiteraient presque avoir un proche hospitalisé dans un état grave pour pouvoir être consolés dans les bras de leur idole.

Je ne peux m'empêcher de me demander si en temps normal, je ne serais pas jalouse, moi aussi. D'un autre côté, en temps normal, Ariana Grande ne serait pas ici, dans le cadre d'une stratégie élaborée par Justin pour réussir à se rendre à mon chevet.

« Bon, les enfants, faut se bouger, déclare-t-elle. C'est quoi, ton plan, Justin ?

— En fait, mon plan, c'est toi, Ariana. Je me suis dit que tu pourrais monter aux soins intensifs et faire une impro.

— Que ce que tu voudrais que je chante ?

— Pourquoi pas Girlfriend in a Coma, de The Smiths ? » lance une voix.

Ce rappel brutal à la réalité fait pâlir Justin tandis qu'Ariana, agacée, rejette cette malencontreuse idée d'un froncement de sourcils.

Kim s'éclaircit la gorge.

« Écoutez, on n'a aucun intérêt à se faire remarquer ici, dans le hall. Il faut monter aux soins intensifs et crier qu'Ariana Grande est là. Ça devrait suffire. Sinon, elle peut chanter. Tout ce qu'on veut, c'est jouer sur la curiosité et faire sortir une ou deux infirmières de l'unité. L'infirmière en chef va leur courir après et quand cette vieille ronchon nous verra tous dans le couloir, elle sera trop occupée à gérer la situation pour s'apercevoir que Justin s'est glissé à l'intérieur. »

Ariana détaille Kim des pieds à la tête. Kim, avec son pull informe et son pantalon noir froissé. Puis la diva de la pop sourit et prend ma meilleure amie par le bras.

« Ça tient la route. On fonce, les enfants. »

Je reste en arrière pendant qu'ils traversent le hall avec leurs lourdes chaussures et leurs voix tonitruantes qui apportent une animation soudaine au hall endormi. Cela me rappelle une émission de télé sur une maison de retraite où l'on avait introduit des chats et des chiens pour distraire les vieillards. Peut-être faudrait-il faire venir de temps en temps des musiciens dans les hôpitaux pour revigorer les patients.

Si je reste (w/ Justin Bieber)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant