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Une fois, maman m'a introduite en douce dans un casino. La famille partait en vacances dans le parc national de Crater Lake et nous nous sommes arrêtés pour déjeuner dans le complexe de loisirs d'une réserve indienne. Ma mère a eu envie d'aller tenter sa chance au jeu et je l'ai accompagnée pendant que papa restait avec Teddy, qui somnolait dans sa poussette. Elle s'est assise à une table de black-jack. Le croupier nous a dévisagées, d'abord elle, puis moi, et elle lui a lancé un regard qui l'a littéralement cloué sur place, suivi d'un sourire éblouissant. Il lui a timidement rendu son sourire sans oser rien dire. Elle s'est mise à jouer et je l'ai observée, hypnotisée. Quand papa et Teddy sont venus nous chercher, grognons tous les deux, j'ai eu l'impression que nous étions là depuis un quart d'heure à peine. En fait, nous avions passé plus d'une heure à la table de jeu.

C'est la même chose dans l'unité de soins intensifs. On ne sait plus quel jour on est et on perd la notion du temps. La lumière est artificielle. Et il y a un bruit permanent. Sauf que ce ne sont ni les bips électroniques des machines à sous ni l'avalanche métallique des pièces qui tombent, mais le ronronnement des appareils médicaux et la conversation des infirmières. Je me demande depuis combien de temps exactement je suis ici. Il y a un petit moment l'infirmière que j'aime bien, celle qui a l'accent chantant, m'a dit qu'elle rentrait chez elle en ajoutant :

« Je reviens demain, et j'espère te retrouver ici, mon petit. »

Au début, j'ai trouvé ça curieux. Ne préférerait-elle pas me savoir rentrée chez moi, ou transférée dans un autre service de l'hôpital ? Et puis j'ai compris. C'était sa façon de me dire de ne pas mourir.

Les médecins vont et viennent. Ils soulèvent mes paupières et braquent le faisceau d'une petite lampe sur ma pupille avec des gestes brusques et pressés. On dirait que pour eux, des paupières ne méritent pas d'être manipulées avec douceur. Cela me fait penser que dans la vie, on touche rarement les yeux des autres. Parfois, un parent soulève la paupière d'un enfant pour ôter une poussière de son oeil, ou un garçon dépose un baiser léger comme un papillon sur la paupière de sa petite amie, juste avant qu'elle s'endorme. Mais les paupières n'ont pas l'habitude d'être rudoyées, au contraire des coudes, des genoux ou d'autres parties du corps.

Maintenant, l'assistante sociale est à mon chevet. Elle lit mon dossier et parle avec les infirmières, puis descend retrouver les membres de ma famille, qui ont cessé de parler à mi voix et s'occupent chacun de son côté. Mamie tricote. Papy fait semblant de somnoler. Tante Diane joue au sudoku. Mes cousins se relaient sur leur Game Boy dont le son est coupé.

Kim n'est plus là. Quand elle est revenue de la chapelle, elle a trouvé sa mère complètement effondrée dans la salle d'attente. Très gênée, elle est sortie avec elle. En fait, je pense que la présence de Mrs Schein a été positive. Pendant que mes proches la réconfortaient, ils se sentaient utiles à quelque chose. Maintenant, ils n'ont plus rien à faire, à part attendre encore et encore.

Quand l'assistante sociale arrive, ils se lèvent comme devant une souveraine. Elle leur adresse un petit sourire. Je pense qu'elle leur indique ainsi que tout va bien, ou que mon état est stationnaire. Qu'elle est là pour donner les dernières informations et non pas pour lâcher une bombe.

« Mia est toujours inconsciente, mais ses signes vitaux s'améliorent, dit-elle. Elle est actuellement avec les spécialistes en kiné respiratoire. Ils font des tests pour savoir comment ses poumons fonctionnent et si l'on va pouvoir entamer le sevrage du respirateur.

— Si elle peut respirer seule, elle va bientôt se réveiller, non ? » demande tante Diane.

L'assistante sociale hoche la tête.

« Si elle respire sans assistance, ce sera déjà un progrès. Cela montrera que ses poumons fonctionnent et que ses blessures internes se stabilisent. Restent les contusions cérébrales. C'est le point d'interrogation.

Si je reste (w/ Justin Bieber)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant