Le Village (En pause)

Le jardin secret

Solina était littéralement sous le charme de cet endroit qui dégageait une intimité avec la nature.
Le soleil, toujours présent et rayonnant de milles feux, jouait avec le feuillage d'un vert vif des arbres. Ces derniers s'étalaient tout en hauteur et pour certains, émanaient des parfums floraux.
Elle respira à plein poumon l'air pur apporté par le vent qui lui chatouillait de temps à autre le visage.
Panya s'avança vers le rivage du lac et posa le panier de pique-nique sur l'herbe mouillée par l'eau environnante.
- C'est magnifique! s'extasia la jeune brune tandis que sa copine sortait la nappe.
- Je savais que cela te plairait. Tu m'aides à déplier ce grand tissu ?
- Pas de problème !
Elle s'approcha d'elle et chacune prit un côté à déployer. Puis elles installèrent le reste de leurs préparatifs et bientôt, elles entamèrent leur sandwich.

Solina dégustait chaque bouchée comme si la place où elle se trouvait, pouvait lui apporter des saveurs différentes. Elle se laissa bercer par le glougloutement du lac et se sentit aussitôt une profonde envie de s'enraciner ici pour toujours.
- Je vais me réfugier là à chaque fois que je me sens mal. Cet endroit m'apaise, c'est comme une sorte de thérapeutie pour moi.
- Je comprends. J'ai la même l'impression que toi.
Elle sourit de toutes ses dents avant de poursuivre :
-Aujourd'hui, j'ai eu envie de partager ce petit coin de verdure avec toi. Je ne sais pas vraiment pourquoi, peut-être parce que l'on s'entend bien toutes les deux.
- Merci, c'est touchant de ta part.
Solina venait de s'exprimer avec la plus grande sincérité et son amie s'en rendit compte au son de sa voix.
Elles changèrent de sujet et commencèrent à parler de tout et de rien. Puis une fois leur pique-nique terminé, Panya proposa à son amie de se balader. Celle-ci s'empressa d'accepter tout à sa joie de faire de nouvelles découvertes.
Elles décidèrent de suivre le lac qui poursuivait son chemin, imperturbable, luisant d'un éclat bleuté, où de temps en temps, le soleil venait se refléter en les aveuglant.
- Que c'est beau! ne cessait de s'extasier Solina tandis que Panya lui répondait par un sourire plein de malice.
Leur progression fut ralentie par la disparition soudaine de leur tracé car celui-ci avait été engloutie par l'eau.
Alors, elles durent emprunter un chemin plus périlleux en passant sur des rondins de bois glissants, déplaçant leurs petits pieds tremblants, manquant plus d'une fois de tomber dans le lac.
Heureusement ce ne fut pas le cas. Elles s'en sortirent indemnes mais en furent quand même quittes pour une bonne frayeur.
Parvenues de l'autre côté de la berge, elles se remirent les idées en place avant de poursuivre.

Le soleil continuait de taper sur les feuilles, essayant de s'incruster avec les deux aventurières. Celles-ci se trouvaient dans une petite clairière. Elles bavardaient gaiement, côte à côte, tels deux soeurs inséparables.
Panya vantait avec de grands gestes appuyés la beauté de l'endroit tandis que sa compère approuvait fortement ces propos. Rien ne semblait pouvoir les arrêter.
- Quelle chance d'avoir été récompensées par Mme Tornia, aujourd'hui! soupirait d'aise Solina.
-Ça tu l'as dit! Maintenant on a plus qu'à profiter de cette belle journée sans nous soucier de rien. Loin de tout ce qui pourrait nous arriver.
Elles se regardèrent et se sourirent mutuellement. Tout était si facile avec elle, songea Solina. Panya était comme un rayon de soleil qui illuminait sa vie, rayonnant de milles feux grâce à sa joie de vivre et sa vivacité. Elle dégageait une aura pétillante et malicieuse. Elle trouvait chez elle son double à qui se confier en cas de problèmes. Mais aussi une très bonne amie avec qui profiter de chaque instant.
Et le Tribunal qui lui avait recommandé de ne pas accorder sa confiance à quiconque. Quelle erreur il faisait !

Elles s'allongèrent dans l'herbe, côte à côte, les mains accrochées dans une douce étreinte en signe d'amitié et elles levèrent les yeux presque simultanément.
Ici, rien ne semblait pouvoir les affecter. Ici, tout paraissait les relier. Les unir. Pour toujours.
Même le temps s'était sans doute arrêter pour les laisser profiter de l'instant que leur offrait généreusement la vie.
Qui oserait les séparer, brisant en milles morceaux leur sérénité dans ce cocon douillet ?
Qui pourrait imaginer quel lien indestructible les unissait ?
Personne était sans doute la meilleure réponse.
Car tout le monde préférait se méfier des autres. Ainsi en avait décidé le Tribunal.

- A quoi tu penses ? demanda doucement Panya.
- A nous, à toi, au monde où l'on vit.
- Au monde où l'on vit...
- Oui, tu te rends compte que le Tribunal réprouve toute forme d'attachement, toute amitié ?
Elle hocha péniblement la tête.
- C'est horrible, concéda-t-elle. Mais que pouvons-nous y faire ?
Sa question restait sans appel.
Le silence flotta un instant avant d'être brisée par la jeune brune.
- Notre amitié est interdite à leurs yeux.
Voilà elle l'avait sorti. Même si elle avait pris un ton un peu trop macabre à son goût.
Panya se retourna vers elle.
- Je sais...chuchota-t-elle comme si elle avait peur de son aveu. Je n'aime pas trop le Tribunal. Mais sans eux, qui nous dirigerait ?
- A-t-on vraiment besoin d'être commandées ?
Une lueur de frayeur passa dans les pupilles de la demoiselle rousse. Yeux marrons-verts contre yeux marrons se fixaient dans un duel farouche.
Finalement ces derniers se baissèrent, contrits.
Panya répliqua enfin :
- Tu devrais faire plus attention à ce que tu dis. Cela pourrait t'attirer des ennuis.
- Entendu. Je n'ouvre plus jamais la bouche, se vexa Solina en se levant soudainement.
Elle s'épouseta mais son geste n' était que factice. Il avait pour but de cacher son désarroi naissant.
- Non, ce n'est pas ce que je voulais te signifier.
Solina croisa les bras, attendant une explication.
- Seulement, il est difficile d'omettre une objection à propos du Tribunal. Ce serait malvenu.
- Vraiment ?
- Je ne souhaitais pas te blesser. Juste te protéger.
- Me protéger ?
- Pour survivre, il faut mieux éviter d'attirer l'attention sur soi. Et crois-moi. Remettre le Tribunal en question est vraiment la pire des manières de respecter cette règle.
- Pour survivre ? C'est toi qui me sort ça, toi qui n'arrive même pas à dépasser le simple statut de Villageoise ? se moqua Solina.
Cette pique atteigna le coeur de Panya de plein fouet. Elle hurla alors, des larmes commençant à lui picoter les yeux :
- Cette discussion ne mène à rien ! Tu ne peux donc vraiment pas comprendre ? Pourquoi t'obstiner autant ? Si tu veux mourir, vas-y, continue comme ça. Tu te trouves sur la bonne voie !
Puis elle tourna précipitamment les talons, plus furieuse que jamais, disparaissant en un quart de tour de la vue de celle qui venait de la blesser.