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Je me penche légèrement et appuie mes avant-bras sur le mur qui fait tout le tour du toit de l'immeuble où se déroule la fête. Je soupire et baisse les yeux sur mon verre de Whisky. Je fais bouger mes glaçons dedans et un sourire se dessine sur mes lèvres, rien qu'à la pensée de la première fois que j'ai bu de cet alcool. J'étais en dernière année au lycée, c'était juste après une course où j'étais arrivé troisième, juste derrière Gabin et Dominic. Ces deux gars étaient plus jeunes mais surtout cent fois meilleurs que moi et j'étais assez fier d'être avec eux dans le trio gagnant.

Mon ex avait alors trouvé logique de m'emmener dans une boîte de nuit pour fêter cette « victoire ». Il m'avait alors fait goûter du Whisky et j'avais détesté ça. Pourtant, aujourd'hui, je ne bois plus que ça comme alcool. Comme quoi, en vieillissant, nos goûts changent. Ou alors, c'est seulement parce qu'à chaque fois que je bois une gorgée de Whisky, je repense à Matt et ça me fait du bien malgré le fait qu'il m'ait largué comme une vieille chaussette. Et je repense à l'ancien moi.

Les deux me manquent tellement...

Je tourne légèrement la tête, de manière à observer la foule qui s'amuse derrière moi. Ça serait mentir de dire je ne m'amuse pas mais ce n'est tout de même pas l'éclate totale, pas comme pour ces couples qui se déhanchent sur la piste. Pas comme pour ces groupes d'amis qui trinquent avec fracas. Pas comme pour ces femmes qui s'embrassent langoureusement près du bar.

J'esquisse un sourire quand j'aperçois Melly me faire un petit coucou depuis une table haute où elle boit son propre verre, un « Sex on the Beach » à première vue tout en discutant avec un rouquin dont le visage est caché, comme tout le monde ici. Je me mordille la lèvre avant de baisser les yeux sur la rue en contre-bas. Je vois quelques voitures passer, tous feux allumés.

« Parfois, ce serait tentant ! » déclare une voix à ma droite.

Je sursaute, ne l'ayant pas entendu approcher mais avec cette musique, ce n'est pas étonnant. Je passe une main dans mes cheveux pour me donner une certaine contenance puis finis par tourner le regard vers lui, celui qui m'a aidé dans les escaliers tout à l'heure.

« Quoi ? » je lui demande, tout bas.

« De sauter ! » répond-t-il naturellement, avec un grand sourire, en faisant un geste du menton vers la rue que je regardais avant son arrivée.

Je détourne mon regard qui était resté trop longtemps fixé sur les lèvres de l'inconnu et hausse les épaules. J'ai eu pas mal de problèmes de santé ces dernières années et pourtant, je n'ai pensé au suicide qu'une seule fois. Le lendemain de ma première opération. Le pire jour de toute ma vie. J'ai un pincement au cœur à ce souvenir.

« Mais rassure-moi, tu vas pas le faire ce soir, hein ? »

Je secoue la tête de droite à gauche.

« Merci, je n'étais pas sûr d'être assez rapide pour te rattraper. »

Il me donne un petit coup d'épaule en riant. Son rire est léger, il semble s'envoler vers le ciel étoilé. Bêtement je lève les yeux vers ce dernier et essaie d'imaginer jusqu'où ce son mélodieux a pu aller. Surement au moins Venus...

« Tu ne t'amuses pas ? »

Sa question ressemble plus à une affirmation. Je hausse à nouveau des épaules avant de boire une autre gorgée.

« Je ne suis pas ce qu'on pourrait qualifier de fêtard. » je lui apprends.

Même avant mon accident, je n'étais pas soirée en boîte de nuit avec musique, alcool et débauche pour certains. J'aimais passer des nuits complètes avec mes amis mais je n'avais pas besoin de tout cet artifice pour m'amuser avec eux. Je le vois regarder ses doigts qu'il fait bouger comme s'il comptait avant de m'annoncer, content de lui :

« C'est la plus longue phrase que tu m'aies dite depuis que l'on se connait. »

Machinalement, je regarde ma montre. On se connaît – si on peut dire ça – depuis à peine une heure. Il voulait que je lui fasse un monologue sur la reproduction chez l'escargot ou quoi ?

« En effet, c'est un véritable miracle vu le nombre d'année qu'on se connait. » je lance naturellement, d'un ton neutre.

Il le prendra comme il le voudra. Bien ou mal, ça ne changera rien pour moi. Je ne cherche pas à m'en faire un ami et encore moins un petit-ami. Finalement, il le prend bien. Il se met à rire et je me surprends à aimer ce son parce qu'il réveille quelque chose en moi. Quelque chose qui s'est endormi depuis des années. Quelque chose que je pensais mort depuis bien trop longtemps.

Puis le silence s'installe entre nous ce qui me met mal à l'aise. Alors je me remets à jouer avec mes glaçons qui flottent toujours dans le liquide brun.

« Je peux te poser une question qui ne me regarde pas du tout ? »

Je retrousse légèrement mon nez, je n'aime pas quand les choses commencent comme ça. Je hausse les épaules ce qui le fait le ricaner. Mais il se reprend vite pour me poser sa question :

« La plume dans la poche de ta veste, c'est... »

Je baisse les yeux vers la dite plume qui est toujours là, bien à sa place. Je n'avais même pas fait attention qu'elle dépassait.

« Mon amie... Que tu as vue tout à l'heure... m'a acheté ce masque. La plume se trouvait dessus. »

« Donc, ça veut pas dire que... »

« Si ça veut dire ça aussi ! » je m'exclame malgré moi en me tournant complètement vers lui.

Je remarque alors qu'il en a fait de même. On est l'un en face de l'autre, à quelques centimètres de l'autre. J'aurais dû le remarquer plus tôt mais il me dépasse de plusieurs centimètres. Je ne pensais pas que cela pouvait être possible avec mon mètre quatre-vingt-cinq. Automatiquement, mon regard passe de ses yeux à ses lèvres, en même temps ceux sont les seuls éléments de son visage que son masque ne cache pas.

Quand je remarque que son regard a fait le même trajet que le mien, mon cœur se met à battre à tout rompre. Et aussitôt, son sourire refait surface sur ses lèvres pulpeuses. Je vais me liquéfier sur place. Je ne suis pas assez fort ou habitué à ce genre de moment. C'est Melly, la pro de la drague, du flirt. En plus, lui n'a pas de plume. Alors qu'est-ce que ça peut lui faire ce que ma plume signifie.

Je ne sais pas pourquoi, je me mets à détailler chaque centimètre carré de son corps à la recherche d'une plume. Peut-être a-t-il fait comme moi. Mais je ne trouve rien et ça me met sur les nerfs. Je serre la main qui ne tient pas mon verre et comme s'il savait ce que je cherchais, il se penche vers moi – je ne pensais même pas que cela était possible sans réussir à se toucher – et me souffle :

« J'ai un ruban... »

Kissing StrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant