Bonus #1

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25 Août 2015

Bonus

Je pose mon sac à dos par terre et étends ma serviette sur la pelouse qui a un peu commencé à jaunir. Je m'installe dessus et regarde un instant la rivière qui passe à quelques mètres de moi seulement. J'adore cet endroit, ce n'est qu'un petit cours d'eau mais j'admets que depuis que je sors avec Matt, ce lieu est devenu réellement important, quasiment magique.

Quand j'y pense, je me dis que ma relation avec Matt n'est qu'une suite de clichés. Mais l'amour n'est-il pas le plus grand cliché du monde à lui tout seul ? Une chance sur un million de tomber sur la bonne personne au bon moment. Allez je vais être optimiste pour une fois, deux chances sur un million mais ça reste tellement infime et pourtant, tout le monde continue de chercher ces deux chances. Tout le monde continue d'y croire, de tenter, de se dire que c'est possible. Et ils ont raison, c'est possible. Pas facile mais possible.

Moi, par exemple... J'ai découvert à sept ans que j'étais plus intéressé par les garçons que par les filles que je trouvais tout simplement inutile avec leur jupe et leurs minauderies. J'aimais regarder mes amis jouer au foot ou se battre pour de faux. J'ai même passé tout mon CE2 à observer Romain Dupont en classe tout ça parce qu'il avait les yeux verts et qu'ils me faisaient penser à la pelouse de mon jardin. Sérieusement, je devais avoir un problème pour ne pas voir que ce Romain en question mangeait ses crottes de nez et que c'était absolument immonde.

En gros, je partais avec un handicap parce que j'ai vite compris qu'être différent des autres gamins, ce n'est pas très bien vu et encore moins quand tout ce que vous voulez, c'est embrasser Romain Dupont sur la bouche alors que lui ne pensait qu'à soulever la jupe des filles. Quoiqu'on nous dise, c'est difficile d'être différent, de ne pas rentrer dans la case déjà préétablie par notre famille, nos amis et notre société. Je n'osais rien dire.

La première personne à qui j'ai dit que j'aimais les garçons était ma mère, à l'âge de quatorze ans. Je n'avais rien prévu mais vous savez avec les hormones et tout ça, c'est sorti tout seul quand elle a voulu m'arranger un rencard avec la gamine d'une amie à elle. Et quand je dis gamine, ce n'est pas pour être désagréable, Naura a deux ou trois ans de moins que moi. Entre nous, quitte à sortir avec quelqu'un de plus jeune que moi, j'aurais préféré ses potes, Dominic et Brianne. Des blonds comme je les aime.

Bref, je ne suis jamais sorti avec eux, ni même aller manger une glace et finalement, heureusement, sinon je n'aurais pas rencontré Matt. L'été juste avant mes quinze ans, j'ai passé tout mon temps à la bibliothèque de mon quartier. Déjà à cette époque, mon rêve était de devenir journaliste et mon professeur de troisième m'avait conseillé de lire, de beaucoup lire pour m'améliorer. Parce que certes, je voulais être journaliste mais j'étais très nul en Français.

Alors j'allais de l'ouverture à la fermeture de la bibliothèque, lire des bouquins. J'aurais pu les emprunter et les ramener à la maison mais depuis mon coming out balancé involontairement, ma mère voulait absolument qu'on devienne... Les meilleures amies du monde ! Alors j'adore ma mère et elle a été géniale à cette annonce brutale, elle a gardé mon secret envers et contre tous mais parfois elle en faisait trop et ça m'étouffait.

Je me réfugiais alors là-bas pour éviter les conversations sur les mecs – les joies d'avoir une mère qui garde des enfants à la maison – et un jour, alors que j'étais installé à une table, les pieds dessus (la bibliothécaire était devenue assez conciliante avec moi), j'ai entendu les pieds d'une chaise racler le sol juste à côté de moi. J'ai baissé mon livre et il était là, assis en face de moi, Hunger Games dans les mains. Il m'a jeté un petit coup d'œil, un sourire en coin puis il a commencé sa lecture.

Kissing StrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant