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Je prends quelques secondes pour contempler le visage de mon inconnu ou en tout cas, le peu que je peux voir. Il a perdu son sourire et ça me peine. Je hausse les épaules, ne trouvant pas quoi répondre. S'il veut m'expliquer quelque chose qu'il le fasse, nous sommes dans un pays libre après tout mais je ne vois pas en quoi ça me regarde. Sa relation avec cette fille aux cheveux bleus ne me concerne pas le moins du monde. Certes, on a failli s'embrasser mais voilà, on a seulement failli ! On ne l'a pas fait. Ça ne fait pas de nous quelque chose.

« La folle furieuse, un poil impolie, que tu viens de voir, c'est Abby. Ma meilleure amie. »

Je ne devrais pas ressentir ça mais je suis soulagé d'apprendre ça. Aussitôt, mon estomac semble se mettre à danser la salsa la plus endiablée possible, ça en devient presque douloureux. Il se rapproche un peu plus de moi ce qui me fait déglutir.

« Je... Elle... »

Il enfonce ses mains dans les poches de son pantalon et reprend :

« Toutes mes histoires ont été assez... Compliquées. Enfin je dis pas que j'en ai eu beaucoup non plus, hein ? » Se corrige-t-il, en ouvrant les yeux en grand. « J'en ai seulement eu deux de sérieuses, d'importantes pour moi. La dernière s'est terminée il y a peu après plus de quatre ans de relation et... On va dire que c'est Abby qui m'a ramassé à la petite cuillère. »

Il vient finalement s'asseoir à côté de moi, sur le mur, toujours les mains dans les poches. Il donne un coup de pied dans un caillou imaginaire et je ne peux m'empêcher de le regarder. Il a souffert en amour, comme moi... Et comme la majorité des gens sur cette planète, bien sûr mais ça me rassure de savoir ça bien que ça ne change rien à ma vie. Il poursuit son explication :

« Quand elle m'a proposé de venir à cette soirée, je ne voulais pas. Je voulais seulement rester chez moi pour m'apitoyer sur mon sort mais elle a su me convaincre, je ne sais pas comment. »

Je l'entends renifler.

« Elle me connait. Elle sait que je suis un grand sentimental, un pathétique romantique et... Je vais surement me ridiculiser mais... tu me plais. Vraiment. Et elle s'en est rendue compte. »

Je me fige, abasourdi par sa déclaration. Ce mec ne va pas bien. M'avouer ça alors qu'il ne me connait même pas. Il n'a même pas vu mon visage ! Sérieusement, il est fou mais au fond de moi, je sais que c'est pareil de mon côté. Je baisse les yeux vers le sol et vois ma jambe étendue devant moi. Je ferme les yeux avec force pour m'empêcher de pleurer stupidement.

« Elle n'a rien contre toi. » m'assure-t-il en posant sa main sur mon avant-bras.

Mon corps ne tarde pas à réagir à ce geste et à en vouloir plus, bien plus. Je me mords la lèvre pour ne pas dire de bêtise.

« Elle voulait seulement me protéger... De moi-même. »

Il retire sa main ce qui me fait relever le regard. Il soupire et bascule la tête en arrière de manière à pouvoir observer les étoiles.

« Est-ce qu'elle a réussi ? » je lui demande après un long silence entre nous.

Il ricane un court instant puis ancre son regard au mien avant de me souffler :

« Absolument pas ! »

Je souris bêtement à son aveu parce que ça me fait plaisir d'entendre ça mais je ne devrais pas être content comme ça.

« Elle aurait dû pourtant. »

« Pourquoi ? » s'étonne-t-il.

Melly apparait dans mon champ de vision. Elle est en train de danser avec un garçon qui a le visage penché vers elle pour pouvoir lui parler au creux de l'oreille. Ses mots me reviennent à l'esprit. Certaines personnes pourraient m'accepter comme je suis... Cet inconnu pourrait être une de ces personnes. Et puis au pire, il n'accepte pas, je ne le reverrais plus jamais. Il ne connait pas mon prénom, n'a jamais vu mon visage. Je ne prends aucun risque...

« Parce que je suis handicapé. »

« Ouais je sais et alors ? » rétorque-t-il aussitôt.

« Tu ne sais même pas ce que j'ai ! » je lui rappelle.

« Et alors ? » répète-t-il, sûr de lui. « Tout ce que je sais de toi me convient pour le moment. Tu es grand et brun. J'adore tes yeux, ton sourire et ton petit haussement d'épaules qui t'évite de parler. D'ailleurs, c'est dommage parce que ta voix est juste... Incroyable. »

Immédiatement, je me sens rougir. Cela fait des années que je n'avais pas eu des compliments. Bien sûr, Melly m'en fait mais ce n'est pas la même chose. Melly est ma meilleure amie, elle est... Presque obligée de m'en faire, c'est dans le contrat imaginaire qu'on signe en devenant amis mais là... Je reste un long moment interdit à le fixer après sa tirade. Je devrais dire merci, je le sais. C'est le genre de choses qu'on fait dans une situation comme celle-ci mais il y a quelque chose qui me perturbe et qui m'empêche de le faire :

« Alors tu veux pas savoir ce que j'ai ? »

Il hausse les épaules et je ne peux m'empêcher de penser qu'il me l'a volé celui-là.

« Bien sûr que j'aimerais savoir mais parce que j'aimerais te connaître vraiment, pas parce que ça pourrait changer ma façon dont je te vois maintenant. »

Je baisse à nouveau mon regard sur ma jambe. Je me passe une main au niveau du menton, hésitant puis finalement, je me lance :

« Il y a cinq ans, j'ai eu un accident. Pendant une tempête, un arbre... Un arbre m'est tombé dessus.»

Je prends une profonde inspiration. Ce n'est pas quelque chose de facile à raconter et je me rends compte que je n'ai jamais eu à le faire. J'ai rencontré Melly à l'hôpital juste après mon opération et les infirmières lui ont dit ce que j'avais eu. Et puis, ça a beau s'être passé cinq ans plus tôt, ça n'en reste pas moins douloureux aujourd'hui.

« Quoi ? »

« Mais dans mon malheur, j'ai eu beaucoup de chances parce que ça aurait pu me tuer sur le coup. A la place, j'ai eu... J'ai eu seulement la jambe écrasée. »

Je jette un regard à mon inconnu qui a la bouche légèrement ouverte sous la surprise. Je relève mon pantalon pour lui montrer ma prothèse. Cette dernière monte jusqu'au-dessus de mon genou mais je m'arrête avant pour ne pas le faire complètement flipper.

« Tu veux dire que tu es un peu comme Iron Man?»

Je rigole, nerveusement.

« Je sais pas encore voler par contre. » je réplique aussitôt.

« Je pourrais t'aider à apprendre... »

Sa voix est douce, tendre et ça me fait du bien de l'entendre me dire ça. Je le sens se lever et se placer devant moi. Il s'accroupit et pose sa main sur ma prothèse ce qui me fait froncer les sourcils.

« Je suis désolé. » me souffle-t-il ce qui me broie, malgré moi, le cœur.

Kissing StrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant