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Il laisse sa main remonter lentement le long de ma prothèse comme s'il la caressait tendrement. Il la pose sur ma cuisse, juste à l'endroit où ma jambe artificielle commence. Je baisse les yeux sur sa main, n'arrivant pas à assimiler son geste. C'est vraiment trop bizarre pour moi. J'ai mis moi-même des semaines pour accepter de la toucher. Des jours entiers pour ne serait-ce que la regarder plus d'une demi minute. Et lui, dans la seconde, il semble presque intime avec elle.

Je n'ai pas le temps de réfléchir au pourquoi du comment qu'il se redresse un peu et pose ses lèvres sur les miennes et mon esprit me crie qu'une seule chose : Enfin ! La surprise me paralyse quelques instants et finalement, l'envie et le manque prennent le dessus. Je mets instinctivement mes mains de chaque côté de son visage pour être sûr de le garder près de moi.

Nos bouches se meuvent timidement pour commencer comme si elles cherchaient à se connaître et pourtant, j'ai l'impression que nous nous sommes déjà embrassés des centaines de fois. Je sens son souffle sur ma joue, son pouls pulser sous mes doigts, sa respiration de plus en plus bruyante. Je connais déjà tout ça et ça me fait peur mais je ne dis rien parce que je ne veux pas arrêter pour une sensation étrange.

Quand il glisse sa langue sur mes lèvres, je le laisse faire. Il mène la danse et ça me plaît. J'ai besoin qu'on prenne les rênes de ma vie, de mes envies. J'ai besoin qu'après cinq ans de batailles médicales, je lâche prise. J'ai besoin qu'on me rappelle surtout que je suis vivant et désirable et c'est exactement ce qu'il est en train de faire.

Ses mains remontent sur mes hanches et les serrent avec force mais je ne ressens aucune douleur seulement une envie de plus. J'ai envie qu'il me soulève, qu'il me porte, qu'il m'emporte. Je dois vraiment être en manque pour penser ça d'un inconnu. Ou alors, c'est ce qu'on appelle le coup de foudre. J'y crois, je l'ai vécu avec mon ex mais je ne pensais pas que cela était possible deux fois dans une vie.

Je laisse ma main s'enfoncer dans sa chevelure juste avant qu'il ne se recule un peu. Il est à bout de souffle. Tout comme moi. Il me regarde tout en se mordant la lèvre inférieure juste avant de sourire. Sourire qui est contagieux. Il se laisse tomber à genoux, pose ses bras sur mes cuisses et déclare :

« Tu me fais trop d'effets. »

Ma main, se trouvant toujours dans ses cheveux, se met à bouger malgré moi, le câlinant délicatement. Il ferme les yeux sous mon geste, profitant de mes caresses. Il ricane au bout d'un moment avant de me dire :

« Et je ne sais même pas ton prénom. »

Il ouvre les yeux et semble me le demander du regard. Je souris et lui réponds :

« Luke. »

Malgré le fait qu'une partie est cachée, je remarque aussitôt que son visage se fige. Littéralement. Son petit sourire disparaît et il se détache de mon étreinte. Il se lève et m'observe. Il est tellement grand que cela me donne une drôle d'impression, celle d'être jugé, d'être dominé mais pas comme je pourrais l'apprécier dans d'autres circonstances.

« Tu t'a-appelles vraiment Luke ? » m'interrogea-t-il, d'une voix neutre.

« Oui. Pourquoi ? C'est un problème ? Tu n'embrasses pas les Luke ? » je m'agace en me relevant à mon tour, laissant mon pantalon cacher à nouveau ma jambe.

Il secoue la tête de droite à gauche et je suis de plus en plus perdu. Il fait demi-tour avant de finalement revenir devant moi. Il passe ses mains derrière son crâne et brusquement, retire son masque. Cette fois, c'est moi qui fais une crise cardiaque. Il n'a pas changé et en même temps, ce n'est plus du tout le même. Je mets une main devant la bouche sous l'étonnement, les yeux grands ouverts.

« C'est toi, hein ? » murmure-t-il et je me demande comment j'ai fait pour l'entendre avec la musique et les conversations ambiantes.

Je déglutis. Je suis en train de rêver. J'ai fait ce genre de rêve avant, jamais aussi réaliste, j'en conviens mais j'ai déjà souhaité tellement fort qu'il me revienne que mon subconscient me faisait des fausses joies comme celle-là.

« C'est toi, Luke ? » insiste-t-il.

Et cette fois, j'essaie de faire attention à tout. Sa voix est plus grave, plus rocailleuse comme s'il avait trop crié ces dernières années. Je laisse mon regard le détailler comme si c'était la première fois de la soirée mais je ne le reconnais pas. Il est plus grand, plus musclé, plus... Homme. Il a une barbe ! A l'époque, il n'avait pas le moindre poil sur le visage et ça l'exaspérait. Il est tellement... Différent.

Je vois son visage s'affaisser, je me reprends et retire à mon tour mon masque. Il fait dans la seconde un pas en arrière, les yeux révulsés. Je comprends alors pas mal de choses qui se sont passés ce soir. Ses yeux bleus. Cette chaleur en moi. Le coup de foudre. Et ce sentiment de l'avoir déjà embrassé. Ce n'est pas un sentiment, c'est une réalité. Une putain de réalité.

« Je suis désolé... »

Je ne sais pas pourquoi je lui dis ça parce que je n'ai rien fait de mal. Même à l'époque, je ne lui ai rien fait. C'est lui qui m'a quitté. C'est lui qui sur le bord de notre rivière m'a dit qu'il ne pourrait pas supporter la distance qui allait être entre nous à cause de nos études. C'est lui qui est parti le lendemain pour Toulouse. C'est lui qui ne m'a pas réconforté. C'est lui qui ne m'a pas vu pleurer. C'est lui qui m'a brisé le cœur. C'est Matt, l'amour de ma vie.

Il passe une main sur son visage. Il ne cesse de répéter mon prénom comme s'il n'arrivait pas à réaliser que je suis bien en face de lui et je le comprends, moi-même, j'ai du mal. Ses parents ont déménagé dans le Sud et je n'ai plus Facebook depuis mon accident. Je n'avais plus aucune nouvelle de lui. Je le croyais toujours à Toulouse et pourtant, il est bien là. Sur un toit de Paris. Depuis combien de temps, nous vivons dans la même ville ? Depuis combien de temps, nous ne faisons que nous frôler ?

« Luke ? »

Cette fois, son ton a changé. Il est presque suppliant, voire désespéré. Je ne comprends pas ce qui lui prend. Ok, il a été surpris comme moi mais il va falloir qu'il s'en remette. Je hausse les épaules et dans la seconde qui suit, il se précipite vers moi et m'embrasse à nouveau. Etrangement, en sachant que ce n'est plus un inconnu mais Matt qui me donne ce baiser, je ressens tout dix mille fois plus intensément. Je revis. Il se recule, encadre mon visage avec ses grandes mains et me déclare sérieusement, les yeux dans les yeux :

« Je t'apprendrai à voler tout le reste de ma vie. »

FIN

Kissing StrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant