Incapable de réaliser que le spectacle devant ses yeux était bel et bien réel, Veronika resta paralysée pendant une longue minute. C'était comme si son cerveau était bloqué, congelé, dans l'impossibilité d'agir et de réagir. Elle se contentait de contempler la jeune adolescente qui la fixait avec un air d'animal blessé, elle aussi dans l'attente d'une réaction. Les images se succédaient dans son esprit : le visage pâle, les lèvres tremblantes, le menton tâché de sang, le petit seau coincé entre les genoux.
Cette jeune fille était comme elle.
Cette constatation la fit enfin sortir de sa torpeur. Sans un mot, elle traversa les quelques mètres qui la séparaient de Diana (ou Diane, elle ne savait toujours pas et ce n'était pour l'instant pas le plus important) et plaqua une main sur son front. Froid, mais un peu tiède. Les pupilles étaient normales. Le pouls rapide, mais régulier. La respiration un peu haletante, probablement en raison de la panique qu'elle devait ressentir. Veronika sentit le soulagement l'envahir : le plus gros de la crise était passé.
-C'est la première fois ?, demanda-t'elle en chuchotant.
-De quoi ?
-C'est la première fois ? Que ça t'arrive ?
La jeune fille hocha la tête.
-Bien. Je vais t'aider, d'accord ? Tout va bien se passer si tu restes calme.
-Ou...Oui.
Sentant qu'elle était toujours inquiète, Veronika décida de lui adresser un sourire aussi apaisant que possible. D'une main, elle retira une mèche qui s'était collée à la sueur de sa tempe puis lui demanda :
-Comment tu t'appelles ?
-Je m'appelle Diana.
-Diana, c'est ce qu'il me semblait. Je m'appelle Veronika.
Elle lui tendit une main que Diana serra avec douceur, hésitation presque.
-Bien. Maintenant, le plus important, c'est de se débarrasser de tout cela avant qu'une Nurse ne nous surprenne. Comment te sens-tu ?
-J'ai un peu la nausée. Et j'ai des sueurs froides.
-C'est normal, après une crise. Tu vas voir, ça va passer. Je sais que c'est difficile à croire au début, mais on finit par s'y faire, quelque part.
-ça vous est déjà arrivé ?
Diana braquait sur Veronika deux yeux luisants comme la flamme d'une chandelle tout juste allumée. Veronika sentit sa confiance chanceler : que devait-elle lui dire ? Pouvait-elle lui faire des confidences sans risquer que tout soit dévoilé aux Nurses ? Elle hésita, puis décida mentalement d'un compromis :
-Je t'en parlerai plus tard, d'accord ? Là il faut vraiment qu'on te nettoie et qu'on te remette un peu sur pied.
Veronika prit l'absence de réponse de la jeune fille comme une approbation. Délicatement, elle lui prit le seau des mains, le posa à côté d'elles, et la souleva par le bras pour l'aider à se lever. Après quelques secondes hésitantes, les jambes de Diana finirent par se stabiliser. Veronika récupéra le seau et lui désigna les deux robinets, installation moderne présente seulement à la cuisine et dans les infirmeries :
-Rafraichis-toi un peu avec une serviette humide. Tu vas voir, ça va te faire du bien. Pendant ce temps, je vais laver le seau.
-D'accord.
Comme elle l'aurait fait pour elle-même, comme elle l'avait déjà fait des dizaines de fois et comme elle aurait sûrement à le refaire un jour, elle se lança dans le récurage du récipient. Elle le frotta, rinça, frotta, rinça, encore et encore jusqu'à ce que toute trace de sang ait disparue. Puis, elle le sécha avec un linge, soigneusement, et alla le ranger dans l'étagère où Diana l'avait pris. Elle vérifia aussi que la pièce était en ordre et que dans la panique la jeune fille n'avait rien renversé ou bougé. Satisfaite, elle retourna vers sa compagne nocturne.
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K, tome 1 - Saint Hamlet.
Science FictionDu monde, Veronika ne connait que Saint Hamlet, le pensionnat pour jeunes filles où elle a passé toute sa vie. Elle y vit, y mange, y étudie, dans l'espoir de quitter un jour ce lieu morose. Mais une maladie de plus en plus violente menace la santé...