Chapitre 2.

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Lorsque le lourd clocher du pensionnat se mit à sonner, le lendemain matin à 6h précises, Veronika crut que son crâne allait se fendre en deux de douleur. Elle avait l'impression de n'avoir dormi que quelques secondes, que ses yeux venaient à peine de se fermer. Tout son corps était encore endolori de la crise de la nuit et ses muscles tendus lui rappelaient comme un sinistre écho la violence de cette dernière. Dans une tentative désespérée de grapiller encore un peu de sommeil, elle plaqua son oreiller sur son visage et s'enfonça dans les couvertures. Mais les tintements métalliques traversèrent sans peine l'épaisseur de plumes et de coton. Avec un soupir, elle se résigna et sortit sa tête à l'air libre.

La chambre était encore plongée dans la pénombre et pourtant Kate s'affaira déjà. Les yeux bouffis de fatigue, elle tituba jusqu'à la petite fenêtre pour entrouvrir le volet, dernier rempart à la lumière du jour. Les premiers rayons de soleil matinaux passèrent les carreaux pour atterrir sur le parquet. Sans un mot, Kate attrapa ensuite ses lunettes et s'avança vers la porte. Avant de l'ouvrir, elle raviva un peu le poêle pour réchauffer la pièce. Il n'y avait rien de pire que de se laver dans une chambre glaciale. 

La journée commençait toujours de la même façon à Saint Hamlet: par le rituel des ablutions. A six heures précises, lorsque les pensionnaires se levaient, elles trouvaient derrière la porte de leur chambre deux lourds baquets en fer remplis d'eau tiède, deux épaisses serviettes blanches et deux gros morceaux de savon, fabriqué sur place et à la légère odeur de citron. Depuis son premier jour à Saint Hamlet, alors qu'elle n'avait que quatre ou cinq ans, Veronika s'était pliée à ce lavage matinal. 

Malgré les pointes douloureuses qui traversaient tout son être, la jeune fille ne traîna pas davantage au lit. A vrai dire, après une crise, elle n'appréciait rien mieux que de pouvoir se laver intégralement, pour enfin faire disparaitre les derniers résidus de transpiration qui lui collaient à la peau. Elle tourna le dos à Kate, déjà lancée dans le savonnage de son visage, et démarra sa toilette. Le contact rafraichissant de l'eau apaisa un peu sa fièvre et acheva de la réveiller. Elle essaya de se concentrer, autant que possible, sur le silence traversé uniquement par le bruit de la mousse du savon et de l'eau gouttant dans le baquet. 

Après s'être rapidement mais soigneusement séchée, elle enfilait ensuite ses vêtements. L'uniforme de Saint Hamlet était à l'image de la pension: simple, austère et sombre. Une épaisse chemise en coton un peu rêche couvrait les dessous, et une lourde robe noire (en toile l'été, en laine l'hiver) achevait le tableau. Elle était légèrement cintrée à la taille mais dépourvue de toutes fioritures. Pas de dentelles, pas de couleurs, pas de jupons bouffants. Rien de tout cela n'existait à Saint Hamlet. 

Les mains expertes de Veronika s'attaquèrent ensuite à ses cheveux, qu'elle tressa avant d'enrouler un lourd chignon bas sur la nuque. Là-aussi, l'extravagance était proscrite. Elle se tourna vers Kate: cette dernière avait toujours eu du mal avec ses cheveux blonds. Si les opérations mathématiques les plus complexes n'avaient rien de sorcier pour elle, le fait de natter sa chevelure s'avérait en revanche un véritable massacre. Veronika avait donc pris l'habitude de s'en occuper, à la fois pour ne pas les mettre en retard et aussi pour éviter les crises de larmes causées par d'énormes noeuds récalcitrants. Les deux camarades se parcoururent ensuite rapidement du regard et, satisfaites de leur apparence, sortirent de la chambre.

Les premières pensionnaires de l'aile gauche attendaient déjà dans le couloir, formant une ligne bien droite. Habituellement, c'était un silence de plomb qui accueillait Veronika et Kate, les autres jeunes filles étant aussi épuisées qu'elles. Pourtant, ce matin se distingua par le bourdonnement incessant de murmures plus ou moins discrets. Kate adressa un froncement de sourcils à son amie, qui lui répondit par un haussement d'épaules. Alors, intriguées, elles s'avancèrent toutes deux pour rejoindre la troupe, se positionnant juste derrière Mary et Louisa, qui partageaient leur classe. La première se pencha aussitôt vers elles, un sourire aux lèvres:

K, tome 1 - Saint Hamlet.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant