Prologue

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Le patron l'accompagna jusqu'à la table. Leur dîner était fixé à 21h30 et il était tout juste 21h25 quand elle arriva. Avec surprise, elle constata qu'il n'était pas encore arrivé. Ce n'était pas dans ses habitudes, invariablement il arrivait en avance. Rapidement, le serveur se dirigea vers sa table et elle feignit d'étudier la carte des vins. Elle n'y connaissait absolument rien mais elle commanda l'un des crus les plus chers qui figuraient sur la carte. Issue d'une famille d'immigrants espagnols, Belén s'était élevée dans la société en épousant un mari fortuné. Ses parents avaient travaillé dur toute leur vie, mais ils n'avaient plus de soucis à se faire désormais songea-t-elle avec satisfaction. Ses lèvres rouges esquissèrent un sourire. D'un geste brusque, elle saisit le verre de vin que le serveur venait de lui aporter. Il se renversa et le liquide d'un rouge sombre s'écoula lentement, presque avec élégance, sur la nappe d'un blanc immaculé. Comme hypnotisée, elle ne pouvait détacher les yeux de la tache qui s'agrandissait de seconde en seconde. Nonchalante . Elle ne pensait qu'à lui. Chaque minute qui passait la rongeait un peu plus d'inquiétude. Tout allait-il se terminer ? Cette seule pensée la terrifiait. Si on les découvrait... mais elle préférait ne pas y songer. D'après l'horloge murale, il ne s'était écoulé que dix minutes. Et pourtant elle avait la douloureuse impression qu'elle attendait depuis des heures. Il n'était jamais en retard. Jamais. Au fond, elle était sûre qu'il avait des doutes mais elle savait avec précision ce qu'elle devait lui dire pour l'apaiser. Elle ne cessait de repasser inlassablement son plan dans sa tête. Il était parfait, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Pourtant, un mauvais pressentiment la tenaillait et elle ne parvenait pas à s'en défaire.

***

La ville était silencieuse en ce petit matin d'hiver. Accoudée à la fenêtre de sa mansarde d'étudiante, Lina Driver contemplait les premières lueurs du jour chasser peu à peu la nuit. Avec délice, elle respirait l'air frais revigorant tout en se remémorant les dernières images de son rêve, encore à demi ensommeillée . Soudain, un bruit de pas dans la rue déserte la tira de ses réflexions. Réprimant un rire, elle regarda avec incrédulité une femme enveloppée dans un épais manteau de fourrure noire qui semblait de très bonne qualité, promener quatre chiens retenus par des colliers bon marché d'un vert pistache de très mauvais goût. Les chiens bondissaient en tous sens et leur maîtresse semblait avoir bien du mal à les contrôler. Qui dirigeait qui ? De plus en plus amusée, Lina remarqua alors l'aigrette parant les boucles d'un insolent blond vénitien sur l'insolite promeneuse. De faux diamants sans aucun doute diagnostiqua-t-elle. Franchement, qui était cette femme pour oser porter un tel accoutrement ? Elle s'autorisa à rire tout à fait. Les bottes à talons claquaient à chaque pas sur le sol pavé, produisant un bruit sourd et les jappements tantôt joyeux tantôt plaintifs des chiens animaient bruyamment la ruelle. Plissant les yeux, elle crut apercevoir un homme à la démarche désinvolte sur le trottoir opposé. Réprimant un bâillement, elle finit par refermer les battants de sa fenêtre. La journée avait bizarrement commencé, se dit elle en se servant un café. L'extérieur est un espace fascinant pour peu qu'on prenne le temps de l'observer.

Quatre chiens et un manteau de fourrureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant