Un voyageur

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      "Ce soir, j'irai fendre ces vagues, juste là. Tu n'y crois pas, l'ami ? Regarde-moi une dernière fois. J'irai ou périrai." Il sourit. Les voiles d'une caravelle dansaient dans ses yeux sombres. Accoudé au comptoir, l'homme bu d'une traite son amer breuvage avant de se lever. Le tabouret grinça une seconde. Il sortit du pub pour rejoindre l'unique quai encore éclairé, quelques hommes discutaient dehors. Leurs visages étaient difficilement visibles : l'épais brouillard mêlé à la bruine de ce soir-là s'interposaient entre ces personnages et lui.

      Un des hommes, aux muscles noueux, observait l'homme du pub s'avancer hâtivement. "T'es le nouveau mousse ?" Une grande tape sur l'épaule. Le grand matelot le narguait, il semblait ignorant. "Je suis ton skipper. Nous partons ce soir."
Une femme descendit de la caravelle en bois accostée à quelques mètres de là. "Et je suis sa seconde. Allez me chercher les autres matelots !" Elle l'avait lancé d'une voix forte, ils se contentèrent de rire. Un rire gras et rugueux. Le capitaine appuya l'ordre d'un ton ferme, mais tranquille. "Hâtez vous." Les marins partirent en murmurant.

      L'homme du bar fronçait les sourcils, la femme du navire eût un sourire en coin. Il monta dans la caravelle. Elle lui appartiendrait bientôt, c'était une certitude. Mais pour l'heure, l'homme, sa seconde et son équipage s'en allaient sillonner les flots. Le capitaine caressa les haubans de la main et les vagues, jolies et douces, de ses yeux vifs. Ils étaient animés du rêve des explorations d'Henri et des voyages de Vasco de Gama. L'eau s'était calmée ce soir, recouverte de ce brouillard, celui qui ne gâche rien, celui qui veut s'ouvrir à tous ses visiteurs. Celui-là ne se refermait pas. L'océan même l'encourageait, car la brume lui offrait son intimité à nouveau, celle du temps où les désirs de l'Homme ne l'avaient pas usé.

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