Un aigle noir était dessiné, en face et de profil, à côté de la cire qui le refermait. Le papier n'était pas daté, l'écriture était manuscrite, soigneuse et un peu raturée, jolie. Il y avait aussi une seconde feuille, rédigée elle aussi, mais pas scellée. Une goutte de cire était tombée dessus, sûrement par inadvertance. Évidemment, la lettre scellée semblait plus intrigante.
Mon cher camarade,
Toi qui as cette lettre, j'espère que tu aimes. Peut-être qu'elle s'est échouée sur un rivage. Il est probable que je ne le connaisse pas, j'ai encore tant d'endroits à découvrir. Je suis heureuse d'avoir réussi à te l'envoyer, même si je ne le saurai sûrement jamais. Tu es libre d'en faire ce que tu veux en réalité, et que puis-je faire pour te forcer à la lire ? Sache seulement, bel inconnu, ami et sauveur sans qui... non, sache seulement, camarade dont j'ignore sans doute le nom, que ces lettres vont m'aider bientôt, alors je serais ravie que tu les conserves. Réunis-les je t'en prie, et si elles ont eues la chance d'atteindre leur but, tu sais ce que tu dois faire, sinon, toi, mon inconnu, garde-les et ne les montre jamais, n'en parle pas non plus. A personne, sauf si ton âme t'y pousses avec la plus grande ferveur, en ce cas, je serai sauvée, ou morte.
Je me suis envolée à bord de mon Petit Biplan le 9 août 1898. Non, avant de te raconter mon histoire, je veux dire la partie qui m'intéresse, je vais te raconter celle qui ne t'intéresse peut-être pas sur le papier que je joins à cette lettre. Ce sera la première page de mes aveux. Pour que tu me comprennes.
Ne m'oublie pas, je t'en prie mon ami, je fais confiance à l'être que tu es, à ton esprit et ton âme, et j'espère que cette lettre n'est pas tombée entre les mains d'un cœur de pierre ou dans celles de l'ennemi, enfin mon ennemi. Je dois diviser mes écrits - avec l'espoir que ce ne seront pas mes dernières mémoires mais simplement un dossier utile – car c'est trop risqué. En les envoyant dans un lieu que j'ignore, je m'empêche de les récupérer et te laisse le soin de les cacher. Pour toi ça n'en est rien, pour moi c'était une chaîne. Je me sauve en te chargeant de me sauver, en fait.
Mon inconnu, aide-moi.
Amicalement tienne,
Ajelma.
Post-scriptum : Si ma bouteille est tombée entre tes mains, mon cher camarade - je l'ai laissée près de ton bateau, à la position que tu avais estimé – je loue le Ciel, notre Ciel. Je ne suis pas encore prise mais j'ai peur que cela ne tarde. Je t'embrasse.
La bouteille en verre avait été repêchée à la tombée de la nuit. Le capitaine observait la mer, une odeur de poisson bien trop laissé cuire flottait jusqu'à ses narines. Il avait interrompu le repas. Ces matelots n'avaient pas osé râler, ceux qui maîtrisaient le bateau ballotté par la houle agitant nouvellement l'océan y étaient trop occupés. Le mousse s'était levé le premier. Il avait travaillé le matin, à présent, il était occupé à se reposer sur son petit repas de marin avec les autres. Un récipient de verre soufflé reflétait, quand on pouvait l'apercevoir au milieu des vagues, la lumière du soleil couchant. Le capitaine, lucide, avait crié qu'une bouteille était à la mer. Le mousse s'était hâté de saisir un filet et une longue corde. Il avait espéré la repêcher, c'était le capitaine qui l'avait habilement fait. Le mousse s'était excusé de sa maladresse, le capitaine lui avait alors permis de lire ce qu'emprisonnait le verre. Pour quelle raison éclairée le capitaine lui avait accordé le droit de découvrir sa découverte ? Il aurait répondu « pourquoi pas » avec un sourire étrange, son sourire habituel en fait. Mais personne n'avait demandé.
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Offre moi cet horizon
AdventureLe voyageur monte à bord d'une caravelle alors que la brume du soir masque l'horizon. Une femme et quelques marins l'accompagnent. Au siècle où les guerres de l'opium, de Crimée, du Caucase, et celle de Prusse ont divisé les peuples, étaient-ils des...