Chapitre 3 : Déception

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Le bus roule le long de Division Street. Le paysage est sec et triste. Je me retourne brièvement et vois progressivement une certaine forme de liberté s'envolée avec la poussière provoquée par le véhicule. Sur la droite se dresse un grand mur gris armé d'une épaisse ligne de barbelées. Mon sang se glace. Nous tournons à gauche. Une pancarte blanche salie par le temps et les décombres des crimes commis par les habitants de ces bâtiments nous informe que nous arrivons à la "Prison de haute sécurité de Joliet Correctional Center". Le chemin n'est plus très long. L'idée d'une arrivée imminente forme dans mon ventre, un nœud et une boule dans ma gorge. L'autbus se gare sur le parking après m'avoir déposé devant l'entrée du bâtiment fédéral. Le premier barrage n'est qu'une petite bâtisse dans laquelle se cache un gardien attentif à mes mouvements. Je sors ma carte d'identité. Il la prend et l'analyse scrupuleusement, ses yeux font des allers-retours entre la photo de la carte et moi. Une fois cette opération effectuée, il jette un coup d'œil rapide sur son ordinateur, puis me regarde en hochant la tête brièvement. Je continue ma route et déboule sur  une place similaire à un rond point. Deux étendues d'herbe forment une sorte d'ovale coupé en deux par une allée de graviers blancs. Graviers blancs qui dessinent le tour de cette forme géométrique. Je marche à travers cette étendue et arrive dans un bâtiment qui semble chaleureux de l'extérieur, mais qui renferme un décors sombre et macabre.

La femme de l'accueil me regarde. Je lis sur son badge qu'elle s'appelle Dorothée Miller. Je m'approche.

- Jade McLaurens, précisais-je, je viens voir la détenue Silvia McLaurens.

L'officier Miller lâche un grognement. Elle vérifie mes dires en scrutant son ordinateur et me fait un signe pour m'indiquer le trajet à suivre. Me voilà dans une salle vide et dénuée de joie. Je passe les portiques de sécurité et j'écoute attentivement les consignes de l'officier qui me passe au détecteur de métaux.

- Un surveillant sera présent et écoutera votre conversation durant toute la durée de l'entretient. Aucun objet n'est accepté au parloir. Il est interdit de fumer. Si l'une de ces règle est enfreinte, la détenue sera exposée à des sanctions disciplinaires, et le visiteur, à une suspension ou à un retrait de son permis de visite. Compris?

-Compris. Je hoche la tête lorsque ma réplique sort de ma bouche.

Nous avançons le long d'un couloir gris interminable jusqu'à arriver dans une salle aménagée d'une dizaine de tables assorties aux murs. La gardienne pénitentiaire me présente une chaise sur laquelle je m'assois en attendant ma mère. Je regarde l'horloge. Il est actuellement seize heures. Je sais que je n'ai que soixante minutes devant moi pour récolter un maximum d'informations sur mon père. 

Quelques minutes plus tard je vois arriver devant moi une grande femme aux cheveux bruns très emmêlés coupés en un carré long. Sa frange tombe devant ses magnifiques yeux bleus bordés de cernes. Son teint me semble livide comparé à la porcelaine habituelle qui lui sert de peau. Quant à ses lèvres normalement rosées, elles sont maintenant devenues gris violet. Cette femme, me mère ne m'inspire que de la haine, et une subite envie de pleurer monte en moi. D'un pas lent et épuisé elle s'assoit en face de moi. Son visage semble me découvrir.

-Bonjour, mon ton est froid et ma voix tremble.

-Bonjour, me répond-elle indifféremment. Excusez-moi, votre visage m'est familier, nous connaissons-nous?

Mes espoirs se brisent à l'entente de cette phrase. Comment peut-elle m'avoir oubliée?

- Maman, c'est moi Jade. 

-Jade? Je ne crois pas connaître de Jade, laissez-moi réfléchir quelques instants.

Ce moment m'arrache le cœur et mes larmes montent le long de ma gorge. La gardienne me regarde. Elle est compatissante. Ma mère est perdue dans ses pensées. Je l'observe, ma tristesse se transforme en colère. Je me lève d'un coup, la prend par les épaules et je crie de toutes mes forces.

-Comment as-tu pu nous oublier Charlie et moi? Ça ne t'as pas suffit de lui ôter la vie, tu as aussi besoin d'effacer son souvenir! Comment peux-tu oublier ces souvenirs qui me font font tenir debout. Tu es un monstre je te déteste! Mes mouvements deviennent plus violent encore, elle pose ses mains sur son visage comme pour se protéger. Réagis! Réagis! Maman! Répond moi! Dis moi que tu te souviens de tout, dis le moi je t'en supplies...! Un signal sonore apparaît dans la salle, les détenues sont raccompagnées hors du parloir, sauf ma mère que je secoue comme une forcenée. Les gardiennes ne mettent que quelques secondes à intervenir. L'une me prend violemment par la taille, quant une autre enlève mes mains de la tenue de ma mère. Je pleurs, je hurle de toutes mes forces.

-Comment as tu pu? Comment?  

 Ma haine est mêlée à de la tristesse. Quant à mes larmes, elles reflètent aussi bien ma désolation et le sang qui coule de mon cœur que la rage profonde que m'inspire cette femme. Je vois ma mère s'éloignée de moi et la violence des gardiennes pénitentiaire est accrue. Elles m'enferment dans une salle ne contenant qu'une seule et unique chaise. Je crois rester assise ici pendant une bonne heure avant que la gardienne du parloir vienne me voir.

-Je suis l'officier Vankelly. Le comportement que vous avez eu envers cette détenue est intolérable. Une prison n'est pas faite pour régler ses affaires familiales Mademoiselle McLaurens.

Je m'apprête à rétorquer mais l'officier continue.

- Vous n'êtes pas sans savoir que vous vous exposez à des sanctions disciplinaires.

- Oui je le sais, on me l'a dit. Mais vous ne comprenez pas que ma mère a volontairement déclenché un incendie qui a tué mon frère, vous pouvez comprendre ma réaction non?!

Elle ignore ma question.

-Mademoiselle McLaurens, votre vie ne me regarde en rien. Le fait est que vous avez violemment agressé une détenue, qui d'autant plus se trouve dans le département psychiatrique de l'établissement. Vous la soumettez à des sanctions mais aussi à des récidives de crises dépressives.

Ma surprise est telle que j'en reste sans voix. Mon visage en dit long sur ma pensée au point que la femme en uniforme me dévisage un sourire en coin.

-Vous n'étiez pas au courant?

Je secoue la tête en guise de réponse négative. Il me faut quelques secondes avant de dominer entièrement mes esprits.

-Officier Vankelly, je suis désolé de mon comportement mais après ce qu'elle m'a fait subir, le fait qu'elle ne daigne se souvenir de moi a provoqué une haine tellement que je n'ai pas pu me contrôler. 

-Hum... J'ai quelques questions à vous poser... elle ne semble pas relever ce que je viens de lui dire, pourquoi cette subite envie de voir votre mère après un an et demi sans aucune nouvelle?

-Quelque chose manque à ma vie, et ce quelque chose, elle est la seule à l'avoir... 

-Quelle est cette "chose", réplique-t-elle avec dédain.

Je lui explique mon désir soudain de retrouver la trace de mon père, de "lever le voile sur ma création", le besoin de réponses à mes questions mais surtout le souhait de trouver une nouvelle famille moins compliquée, aimante à qui me raccrocher. Elle hoche la tête, son regard trahit son visage fermé et me prouve qu'une mère de famille se cache sous cet uniforme. 

Après cet interrogatoire, je me dirige vers la sortie. En passant je me dirige vers l'endroit où j'ai déposé mes affaires personnelles. Je m'aperçoit rapidement qu'une feuille de papier pliée a été rajouté a mes biens. Un post it est collé dessus, "J'espère que ça pourra vous aider". Je l'ouvre avec curiosité et le lis soigneusement. Un sourire se forme sur mon visage. 


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