5D

Chapitre 6: Le dernier film

Je me demande une chose: est ce que la 5D est une bonne invention?
D'un côté, c'est vraiment fabuleux de pouvoir pénétrer dans un film. Qui n'a jamais rêvé de pouvoir pénétrer dans son film préféré? Et puis, lorsqu'on a un coup de blues, ça permet de s'oublier, et de devenir quelqu'un d'autre.
Mais en même temps, c'est effrayant. Ça paraît tellement réel que ça peut en devenir dangereux. La vraie vie se trouve dans la réalité, pas dans un film! À force, on pourrait avoir tendance à l'oublier...
Et puis, est ce que Léon a raison? Est ce que la 5D pourrait permettre de changer les gens en leur faisant éprouver de la compassion? Finalement, peut être que c'est une bonne idée... Mais je trouve ça trop violent.
Je ne suis pas quelqu'un de mauvais. Du moins, c'est ce que je pensais. Mais à présent, je me sens mal. Des fois, je ne prête même pas attention aux mendiants dans la rue. Je me fiche de l'actualité, des migrants ou ce genre de choses. Je n'ai pas souvent de compassion pour les autres.
Je suis égoïste.
Et cela ne m'a jamais dérangé.
Jusqu'à maintenant.

*******

Dimanche est arrivé. Et je suis venu. Pourquoi? Je n'en ai aucune idée.
J'ai envie de partir, de quitter cet endroit avant qu'il ne soit trop tard. Mais je suis curieux. Je veux voir le film que Léon va me proposer... Maudite curiosité!

Le scientifique a du retard. Cela fait dix minutes qu'il aurait dû arriver. Pour patienter, je regarde le décor de la pièce, que je connais pourtant par cœur.
Au bout de vingt minutes, il n'y a toujours personne. Je commence à perdre patience et mâchouille nerveusement un bonbon.
Au bout d'une demi heure, Léon arrive enfin.
Il m'adresse un large sourire.
-Bonjour!
-Bonjour, je réponds d'un ton un peu énervé.
Il n'y prend pas garde et me dit gaiement:
-Aujourd'hui, ce sera le dernier film!
Je ne réponds pas, même si je suis plutôt heureux de cette nouvelle.
Léon sort l'habituel casque et me le pose sur la tête. Il le branche à la télévision et lance:
-Attention, à trois tu vas t'évanouir.
Je le regarde bizarrement. C'est étrange. Normalement il n'est pas si pressé! Il ne m'a même pas dit quel serait le film.
-Attend un peu, je lui demande. Explique moi d'abord...
Je ne finis pas ma phrase: j'ai perdu connaissance.

J'ai un peu mal à la tête. Mais c'est sans doute à cause du stress. Car aujourd'hui je passe à la télévision! Papa fait le caméraman, et maman la journaliste qui m'interview.
-Bonjour monsieur Alex, elle me dit. Donc aujourd'hui vous allez nous parler de votre dernier voyage sur Mars, c'est cela?
-Oui, je réponds.
Je ne peux pas m'empêcher de rigoler, c'est plus fort que moi. C'est aussi à cause de papa qui me fait des grimaces derrière la caméra.
-Comment s'est passé votre voyage monsieur Alex?
Je réfléchi très vite.
-D'abord, on est monté dans le vaisseau. Après on a volé. Et là y'avait une météorite et moi j'ai tourné le guidon et j'ai sauvé l'équipage. Et après on a atterri sur Mars. Et y'avait des extraterrestres.  Et après on a parlé avec les extraterrestres. Et on est rentré sur Terre.
-Eh bien, félicitation Monsieur Alex.
Je souris, très fier.
Mais je suis quand même un peu triste d'être si petit. Si j'étais plus grand, je pourrais être astronaute "pour de vrai", et donner des interviews "pour de vrai"! Mais être grand, c'est dans tellement longtemps...

J'ouvre les yeux. Je mets quelques temps à me rappeler que je n'ai pas huit mais dix sept ans.
Il est étrange de redevenir petit. De se rappeler de ce qu'on pensait et ressentait lorsqu'on avait huit ans.  De trouver des rêves, comme être astronautes, tout à fait réalisables... D'être naïf et d'avoir l'impression que tout est possible pendant quelques minutes... C'est vraiment drôle.
-Comment as tu trouver le film?, me demande Léon, me sortant de mes pensées.
-Perturbant.
-Mais encore?
-Je ne sais pas.
-Tu n'as plus envie d'être astronaute?
Je réfléchis. Dire que lorsque j'avais huit ans je m'imaginais vraiment aller dans l'espace! Je ne doutais pas un seul instant que je deviendrais un grand astronaute!
-Si, j'en ai toujours envie.
Je ne sais pas si c'est le moi de huit ans ou de dix sept ans qui a répondu.
-Et cela ne te paraît pas faisable?
Là encore, je réfléchis. Et puis, le petit Alex de huit ans répond:
-Ben pourquoi pas? Si des gens y arrivent, pourquoi pas moi?
Léon sourit. 
-Bien, merci d'avoir été mon cobaye Alex.
Il me sert la main.
-La 5D sera commercialisée d'ici deux ans, ajoute-t-il. D'ici là, peut être qu'un film sur l'astronaute Alex sortira?

Je souris.
Pendant des dimanches entiers, j'ai vécu la vie des autres. À présent, il est temps que je vive ma vie à moi.